Bitef

d'abord des dialogues, des mots. Antoine Vitez : Le théâtre, ce n'est pas seulement des dialogues. C'est un ensemble de signes. Parmi ces signes, la parole joue un rôle essentiel. Sauf que l'on peut faire du théâtre sans parole. Mais à ce moment-là, l'absence de la parole est aussi comme une parole. C'est une énorme provocation que de faire un théâtre muet comme l'a fait Bob Wilson. Le silence alors emplit complètement l'espace. Le manque de paroles provoque en nous un afflux d'images énorme. Le théâtre est lié à la parole, même s'ily a absence de parole. Dès qu'on dit que quelque chose est lié à la parole, ça veut dire que le silence y joue un rôle très important. A l'intérieur d'un tissu très serré de paroles, le moindre silence devient capital. C'est ce qui fait ressembler le théâtre à la musique. Au théâtre, il faut savoir créer l'espace du silence. A partir du moment où l'on a un matériau qui fait du bruit, ce qui est intéressant, c'est de trouver les moments de silence et de faire entendre le silence aux gens. La parole et le silence sont inséparables. La parole et le corps de l'acteur également. Il y a eu un théâtre qu'on a appelé le »théâtre à thèses« et dans lequel les acteurs étaient censés n'être là que pour illustrer des idées, n'étaient que des supports d'idées qui dialoguaient entre elles. Mais finalement ce théâtre était, sans le savoir, beaucoup plus du théâtre qu'il ne le croyait lui-même. Parce que le fait de voir des gens qui ont l'air de vivre une situation, c'est déjà beaucoup et ce n'est pas réductible à des thèses, à des idées qu'on pourrait trouver identiquement ailleurs, dans un livre par exemple. En ce qui me concerne, je travaille beaucoup sur les corps des acteurs. Même quand je représente des comportements apparemment réalistes, c'est-à-dire des comportements de gens qui ont l'air d'être des gens de tous les jours, j’essaie beaucoup de travailler sur les mouvements du corps, sur les comportements physiques. Car ces mouvements, ces comportements sont évidemment porteurs de sens, font signes. Il faut donc autant que possible les penser. Il faut donc que cela soit découpé, cité en exemple. La mise en scène, c'est aussi cela: l'organisation des déplacements du corps et des corps. Chaque spectacle demande un système de déplacements à lui. Comment va-t-on se déplacer dans une pièce de Molière où le monde est réduit à une famille? Il y a assez peu de personnes. Alors il y a une manière de se déplacer qui ne tient pas seulement aux raisons psychologiques mais qu'on va organiser pour qu’elle soit toujours plus ou moins symbolique des relations des personnages avec le pouvoir d'Etat, avec Dieu, etc. De la même manière, si on veut monurer en quoi consiste le rapport érotique de quelqu'un avec quelqu’un d'autre, ce n’est pas en accumulant des tas de petits gests qu'on y parviendra, mais c'est peut-être avec quelques signes très, très sélectionnés. Je travaille beaucoup sur les corps. Plus encore si on entre dans un domaine fantastique, irréel, où, à ce moment-là, les corps peuvent prendre des formes allégoriques. Les corps deviennent eux-mêmes des allégories. C'est ce qui s'est passé quand j'ai montré »Phèdre«.

Gérard Belloin: Quelles conséquences tires-tu du fait que le théâtre a ce caractère éphémère, par exemple pour ce qu'implique la politique culturelle? Antoine Vitez: Je crois que ça signifie qu'il n'y a pas de théâtre s'il n'y a pas une abondante activité créatrice. Justement parce que le théâtre est éphémère, celui dont c'est le métier de faire du théâtre doit pouvoir avoli une activité fréquente. Chaque oeuvre ne dure pas très longtemps, puis se perd. Alors, l'important, c'est d'en faire une autre. Je pense que le théâtre apprend cette humilité-là. Gérard Belloin: Cette abondante activité créatrice que tu demandes est nécessaire également pour étendre les possibilités de confrontation parmi ceux qui font du théâte? Antoine Vitez: C'est évidemment capital. J'ai un très grand besoin des autres. Ce ne sont pas forcément les autres consacrés. Je m'intéresse à ce que font des gens qui ne sont pas forcément célèbres ou importants. Ça nourrit mon imagination. Dans ces cas-là pour être tout à fait honnête, ce sont des choses que j'absorbe pour mon propre travail. C'est très différent de ce qui se passe pour moi avec Chéreau. Dans le cas de Chéreau, dont l'oeuvre encore une fois est extrêmement importante pour moi, ça ne me sert à rien. Enfin, ça me sert par des voies et des canaux secrets. J’y prends un plasir que je n'ai nas tellement envie d'analyser. Je regarde cela parce que c'est quelque chose qui m'est lointain. Je ne saurais pas le faire. Je l'aime comme j'aime lire les livres que je n'aurais pas su faire. Ca me surprend, ça m'émeut, ça me touche beaucoup. De la même manière, si je vois la peinture de Chagall, ça ne me sert immédiatement à rien et pourtant je crois que ça me sert. Mais je ne sais pas pourquoi. Gérard Belloin: Ce n'est peut-être pas par hasard que la référence à la peinture vient là, maintenant. En tout cas avec cette évocation du plaisir pris au théâtre, difficile à dire, mais dont on est sûr qu'il agit sur nous, qu'il nous agit, nous touchons peut-être à certains aspects de sa fonction? Nous commençons peut-être à répondre à la question: à quoi ça sert? Antoine Vitez: La notion du plaisir au théâtre est tout à fait décisive. Elle me renforce dans l'idée que le théâtre a une importance sociale qui dépasse de très loin son importun importance statistique. Le théâtre est non seulement important pour lui-même mais aussi pour les arts qui en sont issus. Je me rapproche énormément de Jouvet en ce moment. Je le lis beaucoup. Je m'approche beaucoup de sa pensée. J'estime que c'est un de nos plus importants penseurs du théâtre. Or, Jouvet affirme que les arts du spectacle sont tous dérivés du théâtre. Je crois que l'on peut le dire sans que ce soit désobligeant pour personne. La télévision est un art issu du théâtre, le cinéma aussi. Cela ne signifie pas du tout que la télévision ou le cinéma n'est qu'un théâtre second. Absolument pas. Les Etats-Unis sont issus de lAngleterre, Pourtant les Etats-Unis c'est autre chose que l'Angleterre. Les choses prennent une vie qui ne doit plus grand chose à leur origine. Pourtant pour la télévision, le cinéma, on voit bien l'origine. L'origine, c'est la fiction. La fiction représentée, jouée. Le