Bitef

débutants, issus de l’Atelier théâtral d’lrvy, et aussi bien des étrangers que des Français. Ainsi, maintenant, je suis en train de monter avec des acteurs, professionnels et amateurs, une pièce de Molièer, la Jalousie du barbouillé, que nous irons présenter autant que possible à Ivry et dans le Val-de-Marne. Comment conciliez-vous toutes vos activités? Je ne vois aucun fossé entre mon métier de pédagogue du théâtre et mon métier de metteur en scène. D’abord, j’ai déjà travaillé en tant que pédagogue avec la plupart des acteurs qui collaborent avec moi; ensuite, et inversement, je considère ceux avec qui je travaille, dans les deux écoles, moins comme des élèves que comme des acteurs. Ce que je peux faire de plus utile pour mes élèves, c’est établi, avec eux un véritable rapport acteur-metteur en scène. Gui, c’est à quoi je m’efforce, au lieu de me comporter avec eux en miniteur ou en thérapeute. Je ne pense pas en effet qu’ils sont des malades et que le fait de ne pas avoir une assez grande habileté de jeu constitue une infirmité dont il faudrait les guérir. Je les prends comme ils sont, et je fais du théâtre avec eux tels qu’ils sont. S’ils sont des étrangers, ils jouent avec leur accent, s’ils sont jeunes, avec leur jeunesse, s’ils sont maladroits, avec leur maladresse. Mais, bien sûr, j’essaie aussi de les amener à se transformer, j’essaie de leur faire prendre conscience de cette nécessité de la transformation. Si quelqu’un n’a pas assez de voix, je lui demande de faire un travail chanté, et de ce travail de recyclage je crois qu’il ressent le besoin. L’important pour moi n’est pas la qualité technique apparente ou plutôt normalé, normalisée selon des canons connus, mais la présence d’une véritable disponibilité ludique. Cette disponibilité ludique est un moteur, et, si elle est entretenue, développée, alors il est possible de déplacer les montagnes. Il est possible de faire des choses extraordinaires non ordinaires donc de faire du théâtre. Car faire du théâtre, c’est déplacer les montagnes, et c’est pourquoi je m’intéresse aux miracles. Il existe pour moi un rapport étroit enre le théâtre, le miracle, et le simulacre. Ces trois mots sont assonances, cette assonance me plaît parce que je pense que le simulacre, c’est-à-dire le théâtre, est la seule façon pour nous de faire des miracles et de nous représenter le miracle. En d’autres termes, de faire l’impossible. Pour des gens qui n’ont pas le même niveau de formation, le noyau du travail c’est le jeu. Et le noyau du théâtre c’est le plaisir du simulacre, c’est l’exercice de ce plaisir. Quand des amateurs improvisent, on s’aperçoit qu’ils savent très souvent bien faire mais qu’ils sont incapables de refaire. Or, l’art du théâtre, c’est précisément l’exercice du refaire. Rien n’est plus éloigné de moi que le laisserfaire, le négligé, le n’importe quoi, la bonne franquette. Tout mon travail consiste à partir de I’ reconnaissance du plaisir premier pour développer l’exercice (ou l’ascèse) de ce plaisir. Je ne vois de civilisation que dans l’ascèse du plaisir. L’origine du différend que j’ai eu avec Pierre Dux (2) tient dans le fait qu’il persiste, lui, à penser, de très bonne foi, que mon travail est fondé sur la libération anarchique de toutes sortes d’humeurs, alors qu’il est, ce travail, fondé au

contraire sur la notion d’exercice. Pourquoi cette confusion dans l’esprit de Pierre Dux? Parce qu’il ne reconnaît pas, dans l’exercice de mon école, l’Exercice normal. Pour illustrer cette querelle entre ce qui est normal et ce qui ne l’est pas, enre ce qui est canonique et ce qui ne l’est pas, on peut prendre l’exemple de la diction dans la tragédie raciniennce. Il n’y a pas de tragédie racinienne, il n’y a pas de Jean Racine sans la prosodie racinienne. Toute interprétation de Racine qui posaise le vers alexandrin sous la forme d’enjambements, d’irrespect à l’égard du système des voyelles longues et brèves, etc. en même temps le laïcise et transforme Bérénice, par exemple, en une histoire pour le courrier du coeur. Si les vers célèbres: Que le jour recommence et que le jour finisse Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice, Sans que de tout le jour je puisse voir Titus? Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus! L’ingrat, de mon départ consolé par avance, Daignera-t-il compter les jours de mon absence? Si ces vers célèbres sont liés ou, pis encore, si la moitié d’un vers est accolée à l’entièreté du vers suivant, on obitent un texte de prose simplement émouvant et pathétique à cause de l’histoire qu’il reconte, mais plus du tout à cause de l’effet propre de la poésie sur l’auditeur. Prenons les deux derniers ves cités: si l’on coupe après » L’ingrat « en élevant la voix sur le »a« pour enchaîner ensuite jusqu’à » absence«, on a bien la syntaxe normale de la prose, mais on a perdu la syntaxe racinienne. Et on a réduit la tragèdie à une comédie bourgeoise larmoyante. Or, c’est dans la comédie bourgeoise larmoyante que la bourgeosie, précisément, reconnaît sa normalité. Naturellement, ici, ce serait peut-être le moment de parler d’Aragon. Mais parler de lui, pour moi, c’est parler de quelqu’un qu’on aime, et c’est ça qui est brûlant. Enfin, le goût que j’ai du langage, je l’avais sans doute avant de connaître Aragon, mais je n’en aurais peut-être rien fait si je ne l’avais pas rencontré. Le plaisir maniaque de la langue française, je crois que je l’ai cultivé auprès de lui. Mais je ne peux pas parler d’Aragon comme d’un étranger, ce que je pense de lui est, littéralement, interne. Il y a quelque temps, on m’avait demandé d’écrire pour la revue l’Arc un article sur Aragon, et je n’ai pu écrire que sur Phèdre. (C’est on ne peut plus aragonien, ça, non?) Oui, Phèdre: l’idée que Phèdre ne peut être jouée que par une femme de dix-huit ou vingt ans, c’est une idée vient de lui et que j’ai tenté d’appliquer dans mon travail au Conservatoire. Je lui dois aussi Andromaque, si j’ose dire. Vous vous rappelez cette magnifique digression sur Andromaque, dans les Poètes: »(. . .) il y a des Andromaque à chaque pas des hommes (. . .), je regarde ma vie à rebours, c’est plein d’Andromaque ô destins séparés (. . .).« Est’ce à Aragon que vous devez d’écrire? Et aussi des poèmes? Je ne suis pas sûr que c’est à lui que je dois d’écrire, et d’ailleurs, j’écris très peu. En réalité, je n’écris pas très peu, mais je montre très peu ce que j’écris, même à Aragon. Néanmoins, il a publié de mes poèmes dans les Lettres françaises, naguère. Je suis surtout traducteur de poésee; j’ai traduit beaucoup Ritsos. L’exercica de la traduction