Bitef

m'est presque quotidien et je dirais qu'il y a, à quelque niveau profond de moi-même, une parenté entre ce travail, celui de l’écriture, et celut de la mise en scène. Les choix sont les mêmes. Il s’agit toujorus de distinguer entre ce qu'on voit et ce qu'on croit voir. Si pour traduire un mot du langage populaire grec, russe ou allemand, j'emploie en français le mot équivalent (et cela même si l'expression, si le sens sont identiques à ceux de la langue originale), la traduction sera fausse, vulgaire et démagogique puisqu'elle suscitera chez le lecteur des associations d'idées dans son propre terroir: » brignolet « ne peut jamais être la traduction du mot populaire grec dont il est l'équivalent exact. La bonne traduction consistera sans dotue alors à sous-traduire, quitte à signaler aileurs l'humeur langagière du texte original. Vous voyes bien que ce problème est rigioureusement un problème de mise en scène. Ainsi, par exemple, le montage d'un moment grotesque à l'intérieur d'une action sacrée demande le même genre de réflexion, d'analyse, de choix. Vous disiez que faire du théâtre c'est déplacer les montagnes. . . J'ai envie de revenir sur un petit point qui m'a frappé dans l'entretien avec Roger Planchon (3). C'est à propos de Brecht, quand Planchon dit que les enfants de Brecht sont allés dans deux directions: vers le fantastique et l'hyperbole, d'une part, vers la notation réaliste, d'autre part. C'est peut-être bien présomptueux et b'en abusif que je me dise enfant de Brecht, mais pourtant je coris que les gens de notre génération j'ai le même âge que Planchon ont vu leur vie-dans-l'art changer 3 partir de la venue du Berliner Ensemble à Paris, en 1954. Ce que j'ai retenu de Brecht n'est pas moins idéologique que ce que Planchon en a retenu, je crois. Ce que j'ai retenu, c'est tout ce que Brecht avait hui-même hérité du théâtre chinois et de Meyerhold: l'idée que je théâtre de Père scientifique doit montrer son fonctionnement, que l'acteur de Père scientifique doit être un acteur gai en tout cas, c'est moi qui le souligne. même pour montrer des choses tristes vous enendez bien montrer, et non exprimer et que l'action politique du théâtre n'est pas seulement ou pas nécessairement dans ce qu'il dit, mais dans la forme, si la forme est dénoncée comme relative, transitoire, non canonique. Alors, je me pose la question Aujourd'hui, l'idéologie de la bourgeoisie se manifeste à la télévision, par exemple, non seulement dans le contenu des oeuvres diffusées, mais dans le code de jeu de Pateur. Et, finalement, le spectacle envoie su spectateur une image en laquelle il croit se reconnaître, parce qu'elle est normale comme je le disais tout à l'heure et ce spectacle transforme le spectateur sournoisement, et le modèle. Un travail théâtral (ou cinématographique ou télévisuel) qui détruirait violemment toutes les tentations de l'illusion aurait une vertu subversive aussi grande qu'un travail théâtral fondé sur les critères habituels de la représentation, mais racontant une fahlé exemplaire. Le génie de Brecht, c'était qu'il racontait des fables subversives selon un mode lui aussi subversif.

Alors, je me pose, à moi-même, la question; pourquoi deux directions? Ј' imagine qu'il va se produire une nouvelle synthèse, et peut-être est-ce parce qu'il me semble que les conditions dans lesquelles va s'exercer l'art du théârte deviendront de plus en plus dures. Je ne veux pas dire difficiles encore qu'elles le soient. mais dures, j'entends politiquement. Et ce qu'avait dit Planchon il y a quelques années, à savoir, si je m'en souviens bien, que l'on ne doit pas opposer théâtre de recherche et théâtre populaire et que c'est précisément la recherche qui doit être offerte au public populaire, ce qu'il avait dit là deviendra de plus en plus vrai. Notre travail à tous est de trouver la forme qui exprime un nouveau rapport avec un public nouveau. C'ést ça, déplacer les montagnes? Ça aussi, oui, et en son temps, Jean Vilar l'avait fait. Sauf que, croyant cingler vers les Indes, il a découvert l'Amérique. Il avait une conception civique et républicaine du théâtre populaire, il pensait, je crois, que l'élévation culturelle se développerait de façon rectiligne, en tache d'huile, mais il n'a pas touché le public proprement prolétarien. Et pour cause. Ce que je dis là n'est une restriction que quant au projet de Vilar je pourrais dire l’utopie vilarienne avec l'immense admiration que l'on doit avoir pour les utopies. Mais son Amérique découverte nous reste un exemple. Un autre histoire racontée en même temps Et votre théâtre? Malgré la profession de formalisme que j'ai paru faire tout à l'heure, il me semble qu'il y a, à travers toutes les oeuvres que j'ai montées, une ligne philosophique nullement dénuée de sens. Il me semble même que, chaque fois que je monte un spectacle, gît, au coeur de ce spectacle, un projet. Mais vous entendez bien, je dis au coeur, ce qui revient à dire que le sens ne suinte pas par tous les pores du spectacle. Car il faut perdre cette habitude de requérir du théâtre qu'il veuille signifier à chaque minute quelque chose. On n'en demande pas autant au cinéma. J'ai dit un projet; je ne vais pas énumérer tous mes spectacles, mais enfin, si je pense aux Bains de Maïakovski, à Electre, à Faost et, tout récemment, aux Miracles, je retrouve quelques thèmes: le pouvoir, l'usurpation, l'utopie, la femme phosphorescente, les métamorphoses, toujours cette idée de transformer l'eau en vin. En réalité, il me semble que l'on doit voir dans mes spectacles l'eau et le vin, simultanément. Et je pourrais, ici, rappeler ce que m'a dit Georges Aperghis un jour: on peut toujours y voir une autre histoire racontée en même temps. On pense toujours à plusieurs choses à la fois. Je rêve d'un grand spectacle' ou plutôt d'une série de spectacles autour de l'athéisme à partir du Tartuffe et du Dom Juan de Molière. Et puis je travaille, en ce moment, pour Ivry et pour Bruxelles, sur une pièce de René Kalisky, grâce à laquelle nous voudrions critiquer cette nostalgie du fascisme : dont on parle tant en faisant de la description des nostalgiques l'objet même du spectacle, en indiquant par là que le fascisme est déjà tout entier dans la nostalgie. C'est même ce qui distingue absolument le fascisme des autres régimes autoritaires : il se norrit du souvenir imaginaire d'un ordre