Bitef

pouvoir royal et celui du metteur en scène ! Pas d’idée centrale, donc. Pas de chamboulement des textes qui sont dits, au contraire, avec un excès de scrupules quant aux »e« muets et aux diphtongues toujours scabreux. Non, la nouveauté est dans l’excès, dans la folie soudaine qui, soir après soir, s’empare de ces personnages archicélèbres et comme arrachés au carcan de la tradition. Arnolphe (Didier Sandre), Tartuffe (Richard Fontana) , dom Juan ( Jean-Claude Durand) et Alceste (Marc Delsaert) sont des fous furieux qui hurlent aux quatre coins du cloître moyenâgeux leur mépris des hommes et des femmes, leur envie, toujours réprimée, de vaincre le sort. Et si Arnolphe ou Tartuffe sont des fous pleins de vigueur, dom Juan, plus près de Sade que de Miguel de Manara, ou Alceste, que la colère fait tousser comme un phtisique, sont maladivement hystériques. Les personnages qui les entourent, les femmes et les filles qui les aiment ou les repoussent sont à l’unisson: des marionnettes dont les fils cassent parfois, qui se battent comme des chiffonniers ou s’embrassent à perdre haleine dans la frénésie perpétuelle du rire et des larmes. Chaque bruit, chaque cri, chaque silence sont réglés au quart de tour. Rien n’est laissé au hasard. Jamais comédiens n’ont été pris dans une pareille machinerie, et les efforts qu’ils semblent faire pour échapper à Vitez comme à Molière, proportionnés à leur talent, à leur personnalité, font partie de la prodigieuse tension de ces spectacles. Ce serait insuportable et ça l’est souvent si ces rôles étaient tenus pas d’autres que de très jeunes comédiens à une seule et incompréhensible exception, celle de Sganarelle dont la moyenne d’âge doit à peine atteindre vingt-cinq ans. C’est sur cette jeunesse que Vitez, pédagogue lyrique, a tablé à fond. Il a monté Molière pour des acteurs, pour des spectateurs qui ne l’ont jamais vu, qui ne l’ont pas entendu ressasser sur les bancs du lycée, puisque c’est passé de mode. Jouées à la suite, par les mêmes comédiens et sur le même ton, ces quatre pièces apparaissent comme des chefs-d’oeuvre tout neufs, écrits tout exprès pour ces jeunes gens aux forces intactes et qui vont jusqu’au bout de leurs possibilités vocales et acrobatiques jusqu’à la provocation. Artaud, mort en 1948, n’a pas connu Vitez, mais je suis sûr qu’il aurait aimé ces spectacles et découvert, comme nous, que la sagesse et la raison raisonnante étaient chez Molière les vrais ennemis du théâtre. On comprend subitement pourquoi ces quatre pièces ont été jugées scandaleuses il y a un peu plus de trois cents ans. Elles le sont encore aujourd’hui. Revenons, à présent, au tragique contemporain avec deux spectacles de Beckett. Vitez a fait passer sur Molière un vent de folie. Otomar Krejca, l’ancien directeur du théâtre Za Branou de Prague, a confirmé par sa belle mise en scène le classicisme de »En attendant Godot«, le monument le plus solide du théâtre contemporain, construit comme du Molière ou du Racine, avec des pierres dont on ne peut déplacer une seule sans que tout s’écroule. C’est tout de même la première fois que la pièce de Beckett créée il y vingt-trois ans dans le minuscule théâtre de Bahylone, reprise cet hiver à l’Odèon dans la même mise en scène est donnée en plein air et, ce qui est plus intimidant, devant les hauts murs du palais des Papes.

Le dernier psalme Sur un praticable tout banc, rond comme une piste de cirque, avec le fameux abrre qui, dans la seconde partie, perd quelques feuilles, des comédiens célèbres sont venus remplacer les créateurs inconnus à Vépoque sauf Roger Blin. Ce ne sont plus des anonymes qu’on aurait pu recruter dans la rue mais, sûrs de leurs moyens, Georges Wilson et Rufus qui jouent Vladimir et Estragon. Le premier, lumineux et fort; le second, aussi fermé sur lui-même que Buster Keaton. Pozzo, »le maitre«, c’est Michel Bouquet, économe de moyens et féroce, plus intense qu’il ne le fut jamais. Moins charnelle que naguère, la pièce de Beckett mais en avons-nous jamais douté? prend des accents plus métaphysiques. Chaque réplique rebondit sur les hauts murs comme si elle était tirée de la Bible »Livre de Job« ou »Ecclesiaste«. Donné dans cette antique forteresse du christianisme, »En atendant Godot « est le dernier psaume d’une religion qui n’en finit pas de mourir. A l’autre bout d’Avignon, dans le beau quartier des Teinturiers, mais dans une salle d’une laideur affligeante, Jean-Claude Fall et ses comédiens répondent en sourdine à ce Requiem. Tiré de deux nouvelles de »Têtes mortes «, recueil de Beckett, leur spectacle joue sur l’anonymat des voix, qui passent par des micros invisibles, et sur une symbolique des gestes particulièrement bien adaptée au texte. C’est la négation des nuits chaudes d’Avignon mais c’est très prenant. On les reverra quand viendra l’hiver. ( Guy Dumur, Le Nouvel Observateur 51 )

repertoire Théâtre des Quartiers dTvry Electre de Sophocle, parenthèses de Yannis Ritsos, scénographie et costumes de Yannis Kokkos, texte français et mise en scène d'Antoine Vitez. Avec Ariette Bonnard, Christian Dente, Jany Gastaldi, Colin Harris, Evelyne Istria, Jean-Baptiste Malartre, Mehmet Ulusoy, Gilbert Vilhon, Artoine Vitez et le voix de Chrysa Prokopaki. Avec l'accord du Théâtre des Amandiers de Nanterre, producteur initial du spectacle. Faust de Goethe, traduction de Gérard de Nerval, scénographie de Claude Engelbach, adaptation et mise en scène d'Antoine Vitez. Avec Anne Delbée, Jany Gastaldi, Murray Grönwall, Colin Harris, Jean-Claude Jay, Patrice Kerbrat, Jean-Baptiste Malartre, Antoine Vitez. La tragique histoire et la fin lamentable du Docteur Faust pièce pour marionnettes d'après la tradition allemande, adaptation et mise en scène d'Alain Recoing, scénographie et