Bitef

de sa vie à parcourir le monde: Moyen-Orient, Afrique, Asie... Il commence par se passionner pour les paysages volcaniques et les manifestations des forces terrestres. Par goût de l'aventure, il découvre l'expérience de la chasse aux fauves en Afrique et peu à peu s'attache à l'étude des langages humains qu'il rencontre sur sa route. Parallèlement à ses obsen/ations sur la nature et les fauves, il se met peu à peu à poser et reposer les questions concernant l'origine des forces enfouies dans l'homme qui le poussent à conquérir les espaces lointains et le fondement de ses instincts primordiaux. Au fur et à mesure de sa démarche, il abandonne ses recherces sur les phénomènes naturels et les animaux pour se concentrer sur une interrogation qui était celle de Platon déjà; »Qu'y a-t-il donc, làdedans, tout au fond de moi-même?« Entre temps, l'Europe sombre dans une période d'autodestruction et les prémices d'une guerre apparaissent. Il préféré ne pas rentrer. Il met un terme à son chemin. Le jour de ses cinquante ans, il se suicide à Port-Saïd. Ses obsen/ations et son destin sont devenus la matière d'un questionement qui demeure le nôtre aujourd'hui: Comment sauvegarder le chemin que l'homme s'est péniblement construit quand celui de l'histoire se brouille, s'effondre? Comment avancer dans cette synthèse que l'homme a constamment à faire entre ce qu'il est, ce qu'il possède et l'inconu, le lointain? Comment retrouver dans les profondeurs de l'humain ce moment où son instinct primordial côtoyait encore l'instinct originel de l'animal? Aller voir du côté de l'auteur A l'amateur de paraboles, à ce conteur de fables qu'est Josef Nadj, il n'en faut pas davantage qu'une pareille piste pour aller voir du côté de l'auteur, la mécanique célébrale qui produisit semblable manuel. Où l'on apprend que cet Oskar, né en 1 864, outre schasseur, fut un grand voyageur du siècle balbutiant: Indonésie, Russie, Afrique du nord, Moyen orient... Polyglotte, écrivain, dessinateur et photographe. Chroniqueur de topeng, théâtre traditionnel ésotérique balinais, dont la morale, où ne l'emporte ni bien ni mal, l'enchante, Il finit, à Port-Saïd, en 1 914, par louer

l'étage d'un hôtel pour y attendre obstinément l'aniversaire de ses 50 ans et, comme un rituel à ses yeux nécessaires du fait des soupçons d'espionnage qui pèsent sur lui, mettre fin à ses jours. Virtuose transposition d'intuitions Mais si l'on connaît Josef Nadj et son travail de traduction scénique, virtuose transposition d'intuitions, l'essentiel n'est pas là. Il pourrait être dans les situations explosives qu'affectionne notre voyageur; convulsions de la planète et autres désordres telluriques qui, en 1 905, poussainet, par exemple, l'aventurier et écrivain, à se rendre, seul, en bateau, au plus près de la gueule du Vésuve, »pourvoir« l'éruption qu'on lui annonçait comme imminente quelques jours auparavant. L'essentiel, sans doute, tient à un décor qui fixe un point de non retour, sorte de gare provinciale dont les rails sont coupés pour signifier que, de là, paradoxe pour un voyageur, on ne peut partir. Le trait de frontière qui nous rattache, tantôt à la proie, tantôt au prédateur Enfin l'essentiel tient à ce détail de la biographie de Vojnich Oskar: l'homme avait fait la connaissance des chasseurs autant que celles des fauves. Et à la chasse il avait joui, loin de toute sagesse, avant de comprendre quelle sorte d'animal (malade), sous quelles conditions (pour se nourrir ou se défendre) et comment (vite), il est possible de tuer. Et donc, tuer lui importait moins à la fin qu'observer, pour essayer de comprendre, et de saisir, peut-être, le trait de frontière qui nous rattache, tantôt à la proie, tantôt au prédateur. Voilà pourquoi, cette dernière création de Josef Nadj, conçue pour dix danseurs dont une femme et deux musiciens, s'appelle Lanafomie du fauve. Que le spectacle commence! ■ Journal du Théâtre de la Ville, Brigitte Paulino-Neto

D'UN ETAT A L'AUTRE Josef Nadj a présenté son spectacle Canard Pékinois au Théâtre de la Bastille en mars dernier (voir Pour la Danse du mois