Catherine II et la Révolution française d'après de nouveaux documents

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ceux qui restent ont perdu leur prestige. Et elle n’a aucun goût pour les hommes de la génération qu'ils ont produit. Quand il lui arrivera de parler d’eux ce ne sera que pour condamner leurs chimères. Lorsque Madame Daschkof l’entretiendra de certain sophisme de l’auteur de La Nouvelle Héloïse : « On a tort de craindre la mort, car aussi longtemps que nous sommes elle n'est pas, et quand elle est nous ne sommes plus,» Catherine répliquera : « C'est un bien dangereux auteur; son style entraine, et les jeunes tètess’exaltent. » (1) On sait qu'ellen’aima jamais Rousseau, bien qu'elle eut sans doute inspiré Grégoire Orlof le jour où celui-ei lui avait offert pour asile son magnifique domaine de Gatchina. Catherine éprouvait de l'éloignement pour l’auteur du Contrat social, et ce fut vraisemblablement à cause de ses doctrines et de son caractère, autant que parce qu’il avait écrit sur la Pologne un travail peu fait pour plaire à l’Impératrice de Russie (2). C'est lui, dira-t-elle, qui a mis les Français « à quatre pattes. » (3)

Quand les évènements de France prennent une tournure singulière, elle s’en inquiète, parce que sa poli-

(1) Mémoires de la comtesse Daschkof.

(2) Considérations sur le gouvernement de la Pologne.

(3) C'est à Frédéric IT que J.-J. Rousseau avait écrit le 30 octobre 1762 : « Pourrez-vous vous résoudre à mourir sans avoir été le plus grand des hommes? » Il est permis de supposer que Catherine eût pris une autre attitude à l'égard de Rousseau et lui eût souri, si la phrise avait été pour elle au lieu d'être pour le roi de Prusse. La façon dont Voltaire l’encensa et la façon dont elle lui sut gré de ses louanges, rendent la chose vraisemblable.