Correspondance de Thomas Lindet pendant la Constituante et la Législative (1789-1792)

88 CORRESPONDANCE DE THOMAS LINDET

des hommes qui se persuadent qu’ils ont toujours voulu et toujours désiré ce qu’il faut vouloir et désirer; il y a une espèce de prudence qui fait adhérer à un système et se ménager une ressource dans le cas où ilne réussit pas. Cette marche équivoque est peut-être celle du plus grand nombre, et si, dans les moments de crise, on ne peut plus accorder une haute confiance à qui n’a pas un caractère plus décidé, peut-être doit-on quelque indulgence à ceux qui se sont laissés entraîner par le torrent, qui ont désappris les précautions d’une circonspection timide, ou les habitudes de l'autorité et de l’asservissement. Je crois n’avoir pas besoin de réclamer cette indulgence pour mon compte. J'étais libre, quand on était encore esclave, et je n’ai point dissimulé le désir de rompre les chaînes communes. La personne dont la conduite vous a paru plus incertaine avait le même désir; peut-être n’avaitelle pas le même espoir : aujourd’hui tout est égal (1).

Infiniment flatté de l'honneur que les circonstances m'ont procuré d'entretenir avec vous une correspondance assez suivie, je n'ai point eu l'ambition d’en faire un privilège exclusif. Je n’ai point dû refuser de vous faire l’offre patriotique d’un concitoyen qui formait le vœu de contribuer, de ses moyens, à rendre cette correspondance plus intéressante. Peut-être qu’un adjoint vous aurait préservés de la stérilité de mes lettres, écrites souvent à la hâte et dans mes moments de lassitude; peut-être aurait-il rectifié les vues hasardeuses d’une imagination qui, comme la vague arrêtée par un rocher,est obligée de se replier sur elle-même.

Je ne vous priverai pas de cet avantage, si on me met en mesure d’en faire usage; sinon, vous voudriez bien, en faveur de la franchise et de la liberté, me pardonner

(1) I s’agit de Buschey des Noës qui avait demandé à correspondre, en compagnie de Th. Lindet, avec les officiers municipaux de Bernay.