Correspondance de Thomas Lindet pendant la Constituante et la Législative (1789-1792)

98 CORRESPONDANCE DE THOMAS LINDET

Les bruits répandus sur les colonies sont sans doute moins inquiétants que quelques personnes le désirent; cependant il doit exister quelque fondement à ces inquiétudes. M. de la Luzerne a écrit à l’Assemblée de la part du roi pour donner avis qu’il est arrivé deux dépêches expédiées par un aviso; il demande trois jours pour rédiger le compte qu’il en doît rendre.

Sans doute, les colons de nos îles ont dû être étrangement alarmés, à la lecture des ouvrages qui ont paru sur la liberté des nègres. L'enthousiasme ne connaît pas de règles. La crainte est aussi quelquefois assez peu circonspecte dans les jugements : il est étonnant que les habitants des colonies aient cru qu'on les exposerait à toutes les suites terribles de l’affranchissement subit des esclaves. Les malveillants ont cherché à tirer parti de l'arrivée du courrier : on a fait ce soir une motion très vive pour faire demander au ministre une lettre qu’on dit adressée de Saint-Domingue à l’Assemblée nationale. Elle sera sûrement remise demain. Les personnes qui ont milité contre cette motion ont manifesté leur intention. On a conclu que le mal n'était pas très grand. On a été obligé de dire que cette lettre ne contient que la relation d’une brouillerie entre les conciles et le conseil de Saint-Domingue. Les députés du commerce, et les députés de l'armée patriotique de Bordeaux et de Guyenne, ont présenté des adresses exagérées et suspectes d’avoir été combinées avec les colons de nos îles résidant à Paris. Il faut bien qu’on trouve les moyens d'arrêter la marche de l’Assemblée et de jeter des inquiétudes dans le public : c’est le seul espoir qui reste, l’aristocratie ne se reprochera pas de l’avoir négligé. On ne peut pas cependant se dissimuler que Bordeaux a étrangement souffert de la diminution du commerce. (Arch. Bernay.)