Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

102 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

dépouille le contenu. La trahison du roi est manifeste. Le 17, La Fayette est remplacé au commandement de l’armée du Nord par Dumouriez et mandé à la barre de l’Assemblée pour s'expliquer sur l’arrestation des commissaires et son attitude de rebelle, et le 19 un décret d’arrestation est lancé contre lui. Mais il est alors à Bouillon, loin de son commandement ; accompagné de vingt-trois officiers et trente soldats d'ordonnance, il passe la frontière de France, et arrive à 8 heures du soir à Rochefort, sur le territoire de Liège. Où va-t-il? Il n’en sait rien, et nul ne le sait dans son escorte. Il a indiqué, plus tard (III, 406), la confusion de ses pensées à ce moment et son impuissance à prendre un parti : soit se porter en Hollande pour faire une diversion sur les derrières de l'ennemi, soit se réfugier à la Haye chez le consul américain, soit passer en Angleterre pour attendre les événements ; mais il ne peut ignorer qu'il a devant lui les armées combinées de l'Autriche et de la Prusse, au milieu desquelles une troupe de cinquantetrois cavaliers d'état-major ne saurait passer inaperçue. Rien n'autorise à lui attribuer le dessein qu’eut très nettement, sept mois plus tard, Dumouriez, de passer à l'ennemi. Il a simplement perdu la tête. L’antique symbole d’Oreste poursuivi par les Furies est l’image de cette inconscience fatale de la passion malheureuse. « Je me suis abandonné à mon sort, dit-il (IT, 412), pensant qu'il valait mieux périr par la main des tyrans que par la main égarée de mes concitoyens. » Il ne se regarde plus comme Francais, ou du moins il ne voit plus dans les Autrichiens des ennemis, et il fait la supposition étrange que leur impression sera réciproque : « Arrivés à Rochefort, nous avons appris qu'il ÿ avait un poste autrichien