Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 103

que nous n'avions aucune raison de rechercher ni de fuir. Seulement, pour éviter toute surprise et toute inquiétude, Bureaux de Pusy s’est détaché pour faire à l'officier commandant une déclaration. » (II, 480.) Ni chercher ni fuir! Quelle abdication de la conscience morale et des facultés critiques! Cet homme n’est plus qu’une sensibilité troublée. Accablé de son impuissance, de l’horreur de sa situation, il ne pense plus, il se sauve, il se jette à l’abime inconnu.

Il a dit plus tard que le rôle d’usurpateur lui avait été offert à plusieurs reprises, soit quelque temps avant le 10 août par Condorcet, soit à Sedan, par les commissaires qu'il avait faits prisonniers : « Quoique la faction jacobine m'eût fait beau jeu pour changer de conduite, je n'ai jamais voulu avoir de communication avec elle. » (IT, 477; cf. lettre XI, p. 235.) Mais toute sa conduite pendant les dix mois qui précèdent la chute de la royauté nous le montre entrainé au rôle d'un préparateur de coup d'État. Il ne s’est dérobé que devant l'insuffisance manifeste des moyens, l'abandon des auxiliaires sur qui il croyait pouvoir compter, la puissance du courant révolutionnaire alors au maximum d'intensité et capable de briser tout obstacle.

Il faut ajouter que si son état mental l’attirait vers l'acte d'un usurpateur, quelque chose également dans sa nature morale l'y rendait impropre. Le long effort intellectuel de combinaison lui manquait, et aussi la vigueur d’une volonté perverse, mais tendue, qui brise d'avance les obstacles secondaires, l’indifférence au crime concu comme tel et froidement admis, l'appétit cynique d’un pouvoir qui subordonne tout à ses fins. Son salut vint de lui-même, comme sa défaillance. La probité de son éducation et une