Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

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délicatesse morale incontestable devaient l'arrêter devant certaines compromissions. La tentation avait été aussi forte que possible; mais quand la logique des événements, aussi impérieuse, mais moins subtile que celle des passions, imposa à son choix immédiat d’une part l’'usurpation dans toute sa brutalité, d'autre part le devoir d’obéir au pouvoir civil, il se déroba à l'alternative, et c'est un scrupule de conscience qui le fit fuir. « Si j'avais cédé, dit-il (lettre XI), n’aurais-je pas eu pour m’excuser la défense du pays, le désir d'arrêter le mal, et surtout le succès, après lequel tout, hors ma conscience, m’aurait absous ? » Il n’a donc pas réellement dédaigné le rôle du tyran porté au pouvoir par une révolution, si fréquent dans les petites républiques grecques et si souvent tenté pendant la Révolution française. Il y a été attiré, et il fut accablé d’une telle perspective. Comme, après le 14 juillet 1789, il avait été un instant débordé par les circonstances, après le 10 août 1792, luttant contre elles, il fut submergé.

De tous les généraux qui, pendant la Révolution, furent plus ou moins hantés par ce vertige d’usurpation militaire, La Fayette était peut-être, à cause même de ses qualités et de ses défauts, le moins apte à réussir; mais il fut, en définitive, le moins maltraité par les événements et le moins coupable devant l’histoire. Son cas relève plus des curiosités de la psychologie que des sévérités de la conscience.

Le premier général qui tenta d'arrêter la Révolution fut Bouillé. En 1791, il avait tout préparé pour placer le roi à la tête de ses troupes et revenir immédiatement à Paris pour traiter la Révolution comme une émeute dont on vient à bout avec des charges de cavalerie et du canon. C'était un homme du vieux