Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

NOTICES SUR LES DOCUMENTS INÉDITS 113

compagnons et envoyé avec eux en Allemagne. Nous verrons, au sujet de la lettre XXXT, commentil fut traité par la Prusse autrement que les trois autres prisonniers, et libéré progressivement depuis 1794. La solidarité de la mauvaise fortune ne put effacer complètement chez La Fayette le ressentiment des oppositions politiques; la différence des traitements subis en prison le raviva, et c’est avec une dureté un peu brutale que La Fayette, lors de sa sortie de prison, repoussa les avances d'Alexandre Lameth qui lui écrivait des félicitations. (Cf. lettre du 30 nov. 1797, Mémoires, t. IV, p. 386.) C’est en raison de cette intransigeance de La Fayette que les éditeurs des Mémoires en 1838 ont supprimé les passages que nous rétablissons. Le colonel de Lameth, en effet, avait, dans la Constituante, inspiré ce triumvirat fameux dont les autres membres étaient l’avocat Duport et le conseiller au Parlement Barnave, et qui, s'appuyant dans l’Assemblée sur l'extrême gauche, organisa en France la fédération des clubs et pensait à étendre au peuple, auteur du 14 juillet, les bénéfices de la Révolution, dont la bourgeoisie voulait confisquer à son seul profit les résultats. La Fayette, au contraire, représentait, au début de la Révolution, cette bourgeoisie triomphante qui prétendait, avec la garde nationale et son chef, se maintenir entre la cour et le peuple’, avec Mirabeau à la tribune dominer l’Assemblée, et avec Bailly à la mairie disposer de Paris. Ni Lameth

1. « Au dehors de l’Assemblée, ils se rattachaient à Necker, et au dedans à La Fayette, qui était leur bras; ils avaient réussi à le faire placer à la tête de la garde nationale. Ils voulaient conserver la branche régnante de la dynastie des Bourbons, avec un gouvernement constitutionnel, modelé sur celui d'Angleterre, dans lequel une Chambre haute eût été instituée sous le nom de Sénat. Ils en auraient certainement tous fait partie; car si cette constitution eût été acceptée, c’est évidemment Necker qui eût dicté le choix des sénateurs. Ils se fussent ainsi trouvés en possession de la plus belle existence politique possible en Europe, après la royauté, existence indépendante à la fois du roi et du peuple. » (Mémoires de Lareveillère-Lépeaux, &. I®, p. 264.)