Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

120 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

considérée chez tous les peuples de chaque côté de la frontière française. Ce sentiment s’accentuera dans la lettre XI. Il connaïtra alors la période terroriste du 10 mars au 13 novembre 1793, et, loin de souhaiter le succès de la coalition pour voir un terme à ce qu’il nomme la tyrannie jacobite, il n’en est que plus ardent à dénoncer le danger bien plus grave pour la France d’être démembrée comme la Pologne. On se demande alors comment un patriote sincère comme La Fayette, sachant par des témoignages particuliers la nature du danger extérieur depuis trois ans, a pu quitter son poste de général le 19 août 1792 et mettre ses préférences politiques personnelles au-dessus du devoir de se soumettre au gouvernement civil pour la défense de l'indépendance nationale. Au moins dans sa prison reconnait-il qu’actuellement « il y a plus de chances pour la liberté dans la résistance française que dans les succès des puissances étrangères‘ ».

L’alternative est pressante et ne comporte pas de moyen terme; c’est celle même que, le 6 juin 1792, lui posait Roland. Si les coalisés menacent la France, quel que soit son gouvernement, pourvu qu'il en tende toute l'énergie vers la défense des frontières, comme c’est bien le cas en 1792, un patriote français ne peut que faire cause commune avec ce gouvernement. La Convention et la Coalition sont deux termes contradictoires; il faut choisir. Le cas de conscience se pose dans cette lettre VI, se précise dans la lettre XI et s'approche de la solution dans la lettre XII; il voudrait pouvoir « avouer la

conduite des Français, puisqu'il dénonce la conspiration Gais, P

1. ll reprendra cette formule le 8 mai 1799: « La France, libre ou non, est notre patrie ; il y a plus de germes de liberté dans son organisation démocratique qu'il n’y en aurait dans la contre-révolution. »

2, Cf. plus haut, p. 91.