Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

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rapportent dans les autres lettres. On enlevait ainsi au drame ce qu’il a de personnel, de vivant et de pathétique ; on laissait concevoir un La Fayette autre que ce qu'il fat, c’est-à-dire réellement effrayé, convaincu cependant qu'il était Le sauveur attendu en France, et qu'à ce titre la Prusse l’envoyait à un martyre obscur en Silésie. Ce sont les idées et les sentiments qui forment la matière : des caractères. Les retrouver dans les documents, c’est donc contribuer à remettre en vraie lumière la psychologie d'un homme célèbre.

Il restait cependant un espoir à La Fayette, le 3 janvier 1794. Neisse, où il allait être transféré, se trouvait encore, avant le partage de novembre 1794, sur la frontière du royaume de Pologne. C'était là une région que La Fayette connaissait bien. Il l’avait parcourue en tous sens avec l'état-major prussien aux grandes manœuvres d’août 1785, en qualité d’officier étranger et en compagnie de ses anciens camarades d'Amérique, le brigadier Duportail et le colonel de Gouvion. Une évasion lui semble donc avoir des chances de réussite « en gagnant le levant » (lettre XVIT). De plus, il est l’ami du dernier roi de Pologne, Stanislas-Auguste; il est en relations avec ses officiers de confiance, Littlepage et Mazzeï, à qui il envoie les deux billets XX et XXI; il connaît les révolutionnaires patriotes Kosciusko, son ancien compagnon d'Amérique, Jean et Séverin Potosky; la Pologne, et la région voisine, est « pleine de juifs adroits, intrigants et discrets », auprès desquels il compte sur une « popularité hébraïque », en raison de l’état civil qu'il a contribué à leur faire accorder en France (lettre XVII); ajoutons qu’il s’est trouvé en rapports étroits, en 1790, avec le juif Éphraïm, qui, envoyé secret de la Prusse à Paris, avait contribué à brouiller définitivement l'Autriche

avec la France en s’introduisant dans l'intimité de Bar-