Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

18 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

mois au régiment (juillet et août 1774), il ne reprend le service qu’à dix-huit ans, et c’est le 8 août 1775, à la table du général de Broglie, commandant à Metz, que se décide sa destinée, au milieu d’une conversation sur l'insurrection américaine. Il n'y a pas place dans une telle jeunesse pour la lecture et la méditation. Jusqu'à vingt-huit ans il a l'esprit occupé de ses trois voyages en Amérique et de son voyage en Allemagne. À son premier départ en Amérique (20 avril 1777), il a dix-neuf ans et sept mois, et rentre (7 février 1779) à vingt et un ans et cinq mois; au second voyage (14 mars 1780), il a vingt-deux ans et six MOIS, et rentre (18 janvier 1782) à vingt-six ans et quatre mois; au troisième voyage, après la paix, il a vingtsix ans et neuf mois (18 juin 1784), et revient à vingtsept ans et quatre mois (20 janvier 1785). A la fin de son voyage d'Allemagne (juillet-octobre 1785), il a vingt-huit ans. Ces huit années, les grandes choses, les personnages extraordinaires qu'il a vus, depuis Washington jusqu'à Frédéric de Prusse, ont-ils fait à La Fayette une expérience? Les hommes de vie intérieure et subjective gagnent peu à « lire dans le grand livre du monde », comme Descartes, qui ne profite de rien mieux que d’être enfermé des années dans son « poële » de Hollande; mais ceux chez qui la vie passionnelle surabonde, sont moins propres encore à tirer instruction de ce qui se passe hors d'eux-mêmes.

Auprès de ce Frédéric qui, dans la conversation, tenaittête à Voltaire, La Fayette fut seulement «frappé du costume et de la figure d’un vieux, décrépit et sale caporal, tout couvert de tabac d'Espagne, la tête presque couchée sur une épaule, et les doigts pres-