Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)
ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 29
Pour un jeune homme épris d'égalité, c'était une situation encore plus favorisée que s'il eüt été en France. Puis il devient le favori de Washington, qui, dès le début de la guerre, a les fonctions d’un dictateur militaire sans subordination précise à l'égard du congrès. Aussi La Fayette ne voit-il dans le congrès qu'un organe de lenteur démocratique (1, 36), gènant pour l'exécution, et dont l'autorité était à peu près nulle auprès des législatures des États. Il est, lui, Français de l’ancien régime, très frappé de ce qu'un grand pays n'ait pas de roi. « J'ai toujours pensé, conelut-il, qu'un roi était un être au moins inutile, et il fait d'ici encore une bien plus triste figure »; et il met de la coquetterie à dire : « Nous autres républicains. » (I, 96.) En réalité, il se trouve en présence d'une société dans l’état chaotique, où ce ne sont pas des personnes lésées dans leur droit qui se solidarisent pour la revendication de la justice, mais bien un syndicat, momentané dans l'intention des contractants, entre de petits États inégaux en importance, divisés par des intérêts locaux, et dont le but est, non pas de fonder une république démocratique, mais de réduire au minimum les sacrifices que chacun d'eux doit faire au congrès pour réaliser l'unité fédérative.
Ces nuances étaient, d’ailleurs, le moindre souet de ce général de vingt ans. Il n'a vu, dans les affaires américaines, qu'une occasion d'acquérir du renom et un moyen de satisfaire sa haine contre l’Angleterre. Il est vrai que si les hommes graves lui rappellent d’un peu haut qu'il y a d’autres intérêts en jeu, son bon cœur est vite touché, et comme il n’entre pas d'égoisme dans sa nature, il s’excuse galamment de ses excès de zèle. Il sait gré à Washington