Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)
32 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE
Dans leurs premières Déclarations, les Américains ne font qu'invoquer la tradition. Ils se réclament, contre l'Angleterre, de la common law de 1689, laquelle n’est qu’un contrat entre Guillaume IIT et le Parlement. Mais dans les Articles fédératifs de 1778 et de 1789, ils se préoccupent surtout d’énoncer les droits sur lesquels les États ne veulent faire aucune concession au congrès; résignés à instituer un pouvoir fédéral, ils songent bien moins à fonder une république américaine qu'à maintenir autant que possible l'autonomie de chaque État. IL en sera tout autrement en France, où l’on n’aura pas de traditions à invoquer, où l’on s’élancera vers un idéal de société politique sans modèle antérieur. Cependant la généreuse inspiration de l’esprit moderne était en germe dans les Déclarations américaines; La Fayette en ressentit Le souffle puissant, et le rapporta en France dans sa motion du 11 juillet 1789.
Mais d’autres impressions de La Fayette en Amérique nous expliqueront, au moins en partie, pourquoi ce grand courant d’idéalisme aboutit à la constitution si peu démocratique de 1791. On a fait aux hommes de 1792 le reproche d’être les renégats de 1789. Ils sont cependant, dans l’histoire, les premiers qui aient donné au principe de la souveraineté du peuple, inscrit dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, sa conséquence, la république, et à cet autre principe, l'égalité, son corollaire démocratique, le suffrage universel. Au contraire, la majorité des constituants, d'accord avec La Fayette, se montrèrent invinciblement réfractaires à la logique des événements qui, sous l'effort des seules volontés conséquentes, firent sortir 1792 de 1789. Quand on s'étonne que La Fayette, républicain en Amérique, füt royaliste