Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)
ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 39
est loin d’être fermé. Faiblement imprégné de ces idées à son départ, il fut attiré, aux États-Unis, par tout ce qui pouvait les préciser et les confirmer, et revint non pas tel qu’il était parti, c'est-à-dire animé d'un juvénile enthousiasme et d'un vague idéalisme, mais confirmé, par son expérience, même incomplète, dans la conviction que seules les classes moyennes étaient aptes à profiter du mouvement
révolutionnaire.
Pendant toute la période où il fut en contact direct avec les Américains, de juillet 1777 à juin 1784, il eut le spectacle d’une lamentable anarchie. Mais comme il vit, en somme, Washington et ses principaux auxiliaires en triompher; comme il mettait sa gloire luiméme à ce que tant d'efforts ne fussent pas perdus ; comme plus on dépense de soi pour les personnes et les choses, plus on s’y attache; et, par une illusion qui n’est pas spéciale à l'amour paternel, comme plus on aime, moins on est éclairé sur les défauts de l'objet aimé, La Fayette fut peut-être le seul à cette époque pour qui l’expérience de l'anarchie américaine ne fut pas décisive. Il est cependant atteint par le côté qui lui est le plus sensible, le besoin de popularité; en 1787, au moment où le crédit et le bon renom de l'Amérique baissent, il en souffre autant pour lui-même que pour elle : « J'avoue que mon orgueil, en ce qui touche l'Amérique, ne peut supporter aucune mortification; et cependant je m'apercois tous les jours qu’elle n’a pas encore obtenu toute la considération qu’elle devrait avoir. » (I, 206.) Mais, par un heureux privilège des esprits prévenus, il laissa se faire en lui une sorte d’abstraction spontanée où le mal des choses s’atténuait et le bien subsistait. Cet optimisme irréfléchi était entre-