Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)
Lu CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE
distinction censitaire l'appui de son expérience américaine, et l’estimait équitable, parce qu'en somme rien n'empêche les exclus d'acquérir, par leur travail, la richesse, et de se placer ultérieurement dans les conditions requises pour devenir « véritables acüonnaires ». Il se trouva même alors dans l’assemblée deux législateurs prononcant d'avance l’équivalent du mot de Guizot : « Enrichissez-vous! » Démeunier dit aux citoyens exclus de l'électorat « C’est un motif d’'émulation et d'encouragement, et cette incapacité n’est que momentanée; le non-propriétaire le deviendra tôt ou tard. » Et aux citoyens exclus de l’éligibilité Virieu dit : « Qu'ils deviennent propriétaires, et rien ne les empéchera d’en jouir! » Dans sa hâte de conformer la France à ce qu'il appelait « l’ère américaine », La Fayette trahit la vue superficielle qu'il avait des conditions très différentes du progrès à obtenir de part et d'autre. Le grand intérêt américain, depuis la fondation des premières colonies, était moins d'établir dans un état de justice la personne humaine en plein épanouissement de sa dignité, que de constituer une vigoureuse association pour l'exploitation d’une terre riche et vierge. Pour se réserver les bénéfices de cette exploitation, les colons firent la guerre d'indépendance. Pour attirer à eux un nombre d’auxiliaires indispensables à l’entreprise économique, ils firent des libertés politiques une sorte de prime à l'immigration. La tolérance religieuse n'était pas dans leurs traditions; ils l’y ont mise pour ne pas gêner les nouveaux arrivants. Ils n'avaient aucun besoin de proclamer pour eux-mêmes des droits individuels que la loi anglaise leur garantissait, mais ils avaient besoin de faire savoir aux émigrants de la vieille Europe les avantages qu'of-