Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 45

frait l'Amérique. Ceux des États qui ont le plus longtemps résisté à l'admission du suffrage universel sont ceux dont la population très dense n'avait pas à rechercher un nouvel afflux de colons ; les autres ont conféré l'électorat à tout immigrant sans aucune Condition de cens ou de séjour, dès le moment où il débarquait, et ils n’ont pas, en cela, été dominés par une préoccupation philosophique, ils n'ont pas pensé à l'égalité juridique des personnes morales ‘.

La Fayette ne perçut pas cette différence des mobiles entre les deux révolutions. Il lui eût fallu des qualités d'observateur assez pénétrantes pour dégager dès l’origine les symptômes qui n'acquirent d’ailleurs toute leur acuité qu'après la paix de 1783. Mais il ne les perçut pas davantage quand le mouvement de la révolution en France eut assez développé son caractère propre pour provoquer de la part de l'Amérique une antipathie non dissimulée. En dépit du traité de 1778 avec la France, les États-Unis firent (19 août 1794) une alliance commerciale avec l'Angleterre, alors commanditaire de la coalition contre la France, et Washington, un an et demi avant sa mort, était appelé au commandement des troupes destinées à repousser une invasion française (7 juillet 1798). Cependant, même alors, La Fayette se flatte qu'une visite de lui aux États-Unis amènerait la réconciliation (lettre LIT). Les letires de Washington, si peu engageantes, ne suffisent pas à lui enlever l’idée du voyage et à le rappeler à une appréciation plus juste de la vraie situation respective (lettre L). Les impressions de la réalité ne purent jamais l’arracher entièrement au rêve.

1. Cf. Bouruy, tbid., 203-213.