Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

48 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

âmes là où l'esprit d'examen est le ressort même de l'activité religieuse. Pas de classe sociale intéressée à immobiliser la fortune Ià où les congrégations n'ont point accès. Tous ces obstacles se trouvaient, au contraire, accumulés chez nous contre le droit et le progrès. Notre histoire n'était qu'un long travail de formation successive et de conflits violents entre les diverses classes sociales. L’aristocratie avait fait d’abord équilibre à la monarchie, puis, rompant sa solidarité avee le reste de la nation, s'était, pour des honneurs et des profits, mise dans la dépendance de la royauté ; celle-ci se condamnait elle-même, depuis deux siècles, à ne plus manifester que ses vices, soit dans les personnes, soit dans le régime; enfin, au moment où la bourgeoisie, par ses lumières, sa richesse, son influence dans les parlements et même dans l'administration, se montrait prête à prendre le pouvoir, toutes les forces sociales anciennes, menacées de dépossession, s’unissaient pour la résistance, et l'aristocratie émigrait, et le clergé organisait la guerre civile, et la royauté appelait les armées étrangères sur le sol national, leur livrant nos plans de défense. La bourgeoisie elle-même, après la victoire obtenue par le concours du peuple, se retournait contre le mouvement qui l'avait portée et en refusait le bénéfice à son auxiliaire. De tels contrastes entre les antécédents historiques n’échappaient pas tous à La Fayette; mais les inductions qu'il en tira trahirent une observation insuffisante.

Comme les États-Unis avaient abouti, en 1789, à « l'organisation la moins démocratique possible d’une démocratie‘ », il pensa qu’il en irait de même en

1. Bourmy, ébid., p. 177.