Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 47

nation, y compris les serviteurs personnels du roi, mêlé à la crainte de perdre leurs places et leurs pensions ; l'insolence moqueuse de la populace des villes, toujours prête, il est vrai, à se disperser devant un détachement des gardes, et les mécontentements plus sérieux du peuple des campagnes; tous ces ingrédients mêlés ensemble nous amèneront peu à peu, sans grande convulsion, à une représentation indépendante, et par conséquent à une diminution de l'autorité royale. Mais c'est une affaire de temps, et cela marchera d'autant plus lentement que les intérêts des hommes puissants mettront des bâtons dans les roues’. » « Je voudrais que la chose püt s’accomplir, autant que possible, d’une manière calme et satisfaisante pour tous*. »

Cependant les différences étaient considérables entre les deux révolutions. Les États-Unis avaient la tâche d'organiser en union fédérative des démocraties de divers degrés et déjà coexistantes; mais pour cela ils n’avaient pas, comme en France, à renverser tout un édifice social, œuvre des siècles. Pas de centralisation administrative à réduire; pas d'autorité traditionnelle si forte que ses excès mêmes ne l’avaient pas fait sombrer dans les crises nombreuses d’un siècle avant la catastrophe finale. Pas de caste militaire dans un pays à l'abri des invasions; pas doligarchie assurée de ses privilèges par la possession exclusive d’un sol limité, puisque d'immenses territoires s'offraient au travail. Pas de classe anciennement fondée sur la possession du capital, là où les sources de la richesse étaient d’un accès facile à toute énergie entreprenante. Pas de clergé maitre des

1. Lettre à Washington, 9 oct. 1787 ; Mém., II, 208. 2. Ibid., 1% janvier 1788; Meém., II, 218.