Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 61

volonté, iln’est pas étonnant que La Fayette se soit souvent trompé sur les hommes. Il sut pourtant agir parfois sur eux moins peut-être par l'effort d'une volonté réfléchie que par l’entrain de la jeunesse et le prestige de la popularité. En 1780, le marquis de Chastellux, qui visite ses troupes près de New-York, écrit : « La confiance et l'attachement des troupes sont pour lui des propriétés précieuses; mais ce que je trouve encore de plus flatteur pour un jeune homme de son âge, c’est l'influence, la considération, qu'il a acquises dans l'ordre politique comme dans l’ordre militaire. Je ne serai pas démenti lorsque je dirai que de simples lettres de lui ont eu souvent plus de pouvoir sur quelques États que les invitations les plus fortes de la part du congrès'.» Enfin, dans la campagne d’août à octobre 1781, qui se termina par la capitulation de Cornwallis à Yorktown, La Fayette sut communiquer à ses soldats et entretenir jusqu'à la victoire son ardeur enlevante et remporter un vrai succès personnel?. Mais dans la grande crise de 1789 à 1792, La Fayette ne fut pas un véritable gouvernant. Le rôle était trop fort et trop haut pour lui. Occupé sans doute de la chose publique, mais aussi de sa ligne à lui, à travers cette chose, il n’a pas dominé les événements, il les a suivis; quand ils sont allés trop loin pour lui, à un certain jour il leur a dit non, et les a laissés passer sans lui au risque d'en être écrasé le premier*. La comparaison homérique du cultivateur qui ouvre passage à une Source

1. Voyages de M. le marquis de Chastellux dans l'Amérique septentrionale, t. 1°", p. 105.

9. Cu. Tower, The Marquis de La Fayette in the American revolution; Philadelphie, 1895; t. 11, 320-450.

3. SaAINTE-Bruve, Portraits littéraires, 11, 150, 170.