Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 63

La Fayette n'avait ni cette énergie ni cette souplesse qui proviennent d’une volonté capable de changer de tactique dès que l'intelligence éclairée aperçoit des conditions nouvelles au problème de la pratique. L'antique image de Socrate est toujours vraie : le politique est le bon pilote qui ne se bute pas aux obstacles, mais voit la passe entre les écueils, sait le vent et le courant, et gouverne en conséquence; pour lui, la ligne n’est pas tout : il modifie la manœuvre et la direction selon les circonstances, et songe avant tout au salut du navire.

De tels hommes n’abritent pas leur responsabilité sous les décisions de l'opinion ou sous des contrats caducs, comme ce fut la faiblesse de La Fayette. Bonaparte lui montrait un jour les contradictions de la monarchie constitutionnelle : c'était une faute de conserver l'ancienne dynastie, car en lui refusant tout pouvoir, le gouvernement n'allait pas; et en lui accordant du pouvoir, elle s’en servait contre vous. « Mais, répond La Fayette, la volonté publique s'était prononcée également pour tous les éléments d’une république démocratique et pour la conservation d’un roi qui fût Bourbon et Louis XVI; cette double donnée avait produit l’amalgame constitutionnel de 91, défectueux sans doute, mais regardé par la nation comme excellent, ce qui est le premier ressort d’une institution politique. » (V, 187.) « Le vœu exprimé, évident, presque unanime de la nation, était de concilier et faire aller ensemble ces deux principes du républicanisme dans les institutions et de la royauté au faîte du système. » (IV, 203.) Cet appel à l’opinion pour réduire les contradictions de théorie, La Fayette y recourt même pour concilier ses propres sentiments. Son cœur était naturellement républi-