Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 67

Ses sens sont calmes. Il n'a aucun des vices de celte jeune aristocratie du dix-huitième siècle finissant. Marié à seize ans et demi, lorque M"* de La Fayette avait quatorze ans et cinq mois, il aime d’un sentiment unique qui emplit toute sa vie; et à la mort de sa femme, en 1807, il reste, à cinquante ans, accablé de cette séparation. Ses autres affections de famille sont fortes et stables; son intimité était définitivement séduisante, et on ne peut inspirer, comme lui, tant d’admirables dévouements sans les avoir mérités par sa manière d'aimer.

Le besoin d'activité morale se traduit chez lui par le désir d'entreprendre des choses difficiles, périlleuses, étonnantes. À huit ans, en 1765, il a cherché à rencontrer, dans ses promenades aux environs de Chavaniac, la bête du Gévaudan pour se mesurer avec elle. En rhétorique, ayant à décrire le cheval parfait, il ne résiste pas au plaisir de peindre celui qui, en apercevant la verge, renverse le cavalier. Pendant toute sa vie, la menace le fait bondir; la vue de l’obstacle l'y précipite sans mesurer ses forces, sans prévoir les difficultés. Le 16 juin 1792, il écrit une lettre provocante à l’Assemblée, et, le 28, sans avoir averti personne, il s’y présente, non pas comme Louis XIV au Parlement, le fouet à la main, ou Cromwell avec un régiment, mais seul, pour arrêter la Révolution par une attitude. Ge besoin de résister aux obstacles lui fait sentir parfois ce qu'il y a de précieux dans une initiative personnelle heurtant la prétendue force des choses et l’élève jusqu’au sentiment si rare de l’uchronie dans l’histoire, c’est-àdire d’une vue des événements tels qu’ils n’ont pas été, mais auraient pu être si telle qualité, présente en un homme à un moment critique, avait fait tourner