Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

68 CORRESPONDANCE DE LA TAYETTE

les faits dans le sens du bien, au lieu du sens contraire. « Autrefois, dit-il (IV, 333), l’histoire rapportait tout à quelques hommes; la mode aujourd’hui est de tout attribuer à la force des choses, à l’enchainement des faits, à la marche des idées. On accorde le moins possible aux influences individuelles. Mais il me paraît impossible de méconnaitre, surtout dans les temps de trouble, le rapport des événements avec les principaux moteurs; et, par exemple, si le général Lee, qui n’était qu'un Anglais mécontent, avait obtenu le commandement donné au grand citoyen Washington, il est probable que la révolution américaine eût fini par se borner à un traité avantageux avec la mère patrie. Si la conspiration du 18 brumaire avait trouvé dans Bonaparte l'amour de la liberté et le sentiment de la vraie gloire, une grande partie de l’Europe jouirait dès à présent (1798) de tous les biens qu'ont espérés les fondateurs de la Révolution française. »

Ce sentiment de l'initiative a fait de La Fayette, non pas un énergique chef de parti, mais un véhément excitateur de passions sociales. Son départ pour VAmérique en 1777 n’a pas, nous le savons, déterminé en France un courant d'opinion et entrainé le roi et la nation, depuis longtemps décidés en faveur des insurgents; Mais l'éclat de la démarche a certainement agi par la « contagion des imaginations fortes », selon le mot de Malebranche, pour entrainer tout ce qui était hésitant. Dans l’Assemblée des notables de 1787, il prononce, le premier, les mots d’états généraux et d'Assemblée nationale, et les esprits s’enflamment; la cour s’effraye, et il est question de mettre La Fayette à la Bastille’. Pendant les deux

4. « Nicolaï, évêque de Langres, digne neveu de Malesherbes, et La