Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

70 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

il l'identifie à sa personne, mais en même temps il le grossit en imagination, il l’étend au delà des frontières et va jusqu'à concevoir une sorte d’internationale de la bourgeoisie. (Cf. lettres XIV et XXVIL.) Les penchants d'ordre social ne sont pas moins intenses, chez La Fayette, que ceux de l’ordre personnel. Affections de famille, patriotisme, amour des hommes en général, passions de parti, ont dans son cœur une force et une durée qui montrent la richesse d’une nature toute faite de passion et, par suite, pauvre en idées et faible de volonté. Dans la famille, nous l’avons vu apporter des sentiments passionnés et durables qui étaient loin d’être à la mode dans le milieu bourgeois aussi bien que dans le milieu aristocratique, à cette époque du dix-huitième siècle francais où se forma sa jeunesse. L'amour de la patrie se montra chez lui sous une double forme : le sentiment de l’humiliation imposée à la France par le traité de 1763, à la fin de la honteuse guerre de Sept ans, et la haine de l'Angleterre. Écrivant en 1805 ses souvenirs de cette première époque, il dit : « On concevrait difficilement aujourd’hui le peu de considération politique et militaire à laquelle la France et son gouvernement avaient été réduits depuis la guerre de Sept ans, et surtout depuis le partage de la Pologne (1772) ». Un agent anglais surveillait à demeure le port de Dunkerque et multipliait ses réclamations dès qu’on remuait une pierre. Le ministre français cachait ses rapports avec l'Amérique. « Un mot de lord Stormond suffisait pour faire arrêter les Américains admis dans les ports; on ne leur rendait leur liberté ou leur propriété qu’en fraude et comme on se soustrait à la surveillance d’un supérieur. » (1, 68.) En 1779 il écrit au ministre Vergennes, au moment où la France