Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

72 CGORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

l'étranger des alliés contre leur patrie et la menacent d’un retour à l’absolutisme et à la féodalité; il comprend que le peuple ait été poussé aux dernières colères contre leurs prétentions insolemment affichées, et fait remonter à l’émigration la responsabilité des plus dures représailles révolutionnaires : « Gette funeste émigration, dit-il (IT, 284), précéda de beaucoup le 10 août 1792 et toutes les fureurs subséquentes qui, sans elle, n'auraient jamais eu lieu‘. »

La généreuse philanthropie du dix-huitième siècle ne pouvait manquer de passionner La Fayette. Il fut un des premiers (dès mai 1785) à réclamer un état civil pour les protestants et les juifs (lettre XVIT). En février 1783, il propose à Washington d'acheter en commun une propriété pour y employer des nègres affranchis, et, en décembre 1785, il installe une plantation à Cayenne pour.y mettre en pratique le travail des nègres libres. La cause de la liberté civile fut la sienne, et il se donna avec ferveur à toutes les tentatives de revendication contre les abus des législations oppressives dans l’ancien monde et le nouveau. Ilest, dans toutes les révolutions, en Amérique, en Belgique, en France, en Pologne, de fait ou de cœur avec ceux qui luttent pour la liberté. Mais s’il entendait cette liberté comme le redressement des abus dans l’ordre civil, il faisait bon marché de la liberté et du droit dans l’ordre politique. Des deux sortes de réformes qu'apportait la Révolution, il n’apprécie que les premières et dédaigne les com-

1. Cf. lettre VI, où il manifeste hautement son indignation contre les officiers émigrés. Cf. Micxer, Histoire de la Révolution française, 1,200 : «Sans l'émigration il n'y aurait pas eu de république. » Sorez, l'Europe et la Révolution, I, 5 : « Aucun événement n'a été plus désastreux pour la monarchie et n'a exercé une influence plus pernicieuse sur le développement de la Révolution. »