Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

76 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

de l'opinion. La Fayette ambitionna toute sa vie cet honneur qui vient de l'estime d’autrui, et parfois, le trouvant en conflit avec celui qui vient de la conscience, il eut le courage de sacrifier la popularité à la dignité morale.

Dès le collège, La Fayette eut le projet de « courir le monde pour chercher de la réputation » (I, 7). Mais l’événement décisif fut, au début de son existence, la rencontre du duc de Glocester, frère du roi d'Angleterre, à un diner chez le comte de Broglie, gouverneur des Trois-Évêchés. La Fayette avait dixhuit ans et apprenait son métier d’officier à Metz. Le duc de Glocester se rendait en Italie au mois d'août 1775, et, passant par le nord de la France, il fut, par ordre de Louis XVI, recu chez le gouverneur de Metz en grande cérémonie. Au diner, il parla beaucoup de l'insurrection américaine, qui venait d’éclater par le combat de Lexington (18 avril 1775). Il était brouillé avec son frère et blämait la politique d'oppression suivie depuis 1763 et qui avait provoqué le soulèvement des colonies. Toute la soirée fut consacrée à la louange des insurgents; ce fut assez pour monter les têtes des jeunes officiers français. De ce jour, dit La Fayette en brouillant un peu les dates, son cœur fut enrôlé. Il eüt pu dire que sa vie était décidée; il était sur le chemin de la gloire. Son départ en 1777 fut le premier de ses coups de tête et fit de lui le favori de l'opinion universelle pendant près de vingt ans. En Amérique il sollicite les postes les plus périlleux. Il se plaint à Washington d’être exposé au ridicule si l’expédition du Canada ne réussit pas : « J’avoue, dit-il, que je ne puis maitriser la vivacité de mes sentiments dès que ma réputation et ma gloire sont touchées. » (1, 160). En août 1779, lorsque Vergennes

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