Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 77 prépare une armée pour l'Amérique, il lui écrit : « Lorsqu'il ya des occasions d'employer un peu en grand les talents d’un homme qui n’a jamais exercé le métier que sur une grande échelle, il serait fâcheux pour lui de perdre une occasion de se signaler. » (T, 312.) En 1787, Jefferson, qui le voit souvent à Paris, dit de lui : « Son faible est une faim canine pour la popularité et la renommée ; mais il s’élèvera audessus de cela’. »

Pour beaucoup d'hommes publics, les intérêts de leur parti, de leur famille, de leur personne, font une règle d'acquérir et de conserver la popularité comme le meilleur moyen d'action. Pour La Fayette, elle vaut par elle-même. Il lui sacrifie sa fortune à profusion. Au moment où il part en Amérique, il est marié depuis un an etil va être père. Ces bonheurs ne le retiennent pas. Quand il aura un parti politique, il y verra une conséquence de sa popularité, bien plus qu'une cause à servir. Sa gloire est un but au delà duquel il ne conçoit rien; elle est pour lui une « finalité sans fin ».

Cependant il ne se contente pas d'en jouir, il sent le devoir de la mériter et parfois d'y renoncer lorsque l'honneur commande un tel sacrifice : « Mon cœur est pur, dit-il, mon esprit libre, mon caractère désintéressé; ma conscience et la confiance publique sont mes deux appuis; je perdrais la seconde que l’autre me suffirait. » (II, 239.) Il blâmera un jour Necker de s'être « fait une divinité de l’opinion publique. Cette opinion ne reçoit-elle pas souvent sa direction de ceux qui ont le courage de braver les rumeurs éphémères, plutôt que d'abandonner quel-

1. Caaravay, tbid., p.139.