Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 79

crut avoir reconquis toute son autorité sur l'opinion, et c’est sur cette illusion qu’il mit en jeu toute sa réputation acquise depuis dix-sept ans, pour provoquer un mouvement de réaction contre la poussée démocratique du 10 août. On peut dire que, cette fois, le sacrifice fut conscient et voulu; mais par bonheur il fut inutile, et son impuissance épargna à La Fayette le triste honneur d’être compté parmi les ambitieux qui font les 18 brumaire.

« Mon éloignement pour les emplois publics était sincère, dira-t-il après ce coup d'État; j'ai souhaité la gloire, et non la puissance. » (V, 170.) Il exprime bien en cela la différence entre deux sortes d’ambition, dont l’une séduit d’abord les imaginations vives et les cœurs ardents et les porte parfois, pour s'assurer l'admiration des hommes, à désirer la puissance comme le plus sûr moyen de les tenir en respect, mais les meurtrit dans la lutte et les avertit qu'ils en devaient laisser les finesses et les duretés aux véritables hommes d'action, seuls propres à l’autre ambition, celle de la puissance. Ambitieux dans le premier sens, de très grands le furent, hommes de rêve politique comme Platon, orateurs brillants comme Cicéron, poètes comme Lamartine; ce n’est pas faire tort à un homme de sentiment comme La Fayette, que de le mettre à leur suite. Mais il est une autre ambition qui s'attache plus aux réalités du pouvoir qu'à son éclat extérieur, qui, pour dominer les hommes et les faire servir à ses fins égoiïstes, ne recule devant aucun moyen et se préoccupe peu des maux quelle sème autour d'elle, parce que la passion du pouvoir pour l'autorité ou les profits qu'il procure ne s’'assouvit que dans l’universelle servitude. Les ambitieux de cette seconde espèce furent nombreux