Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

80 GORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

pendant la Révolution, timides comme Sieyès, tarés comme Dumouriez, cyniques comme Talleyrand, violents comme Bonaparte. La Fayette, entrainé par sa propre popularité, par une idée exagérée de son influence et de sa mission, par le cours des mêmes circonstances qui s’offrirent à tant d’autres et ne se laissèrent forcer que par un seul, fut quelque temps de ceux qui pensèrent dominer la Révolution, la terminer au point où leur propre conception politique s'arrêtait, et se faire les sauveurs de la chose publique. Il n’alla pas jusqu'au bout d’une évolution morale qui l’eût mené à un coup d'État achevé, parce que la nature n'avait pas fait de lui un homme d'action, et parce que sa délicatesse de sentiment l’arrêta devant certains moyens. Mais c'est bien la passion de la gloire qui, pendant dix-sept ans entretenue et exaltée par les événements, le conduisit jusqu'à la crise du 19 août 1792, à laquelle il ne se déroba que par la fuite et le silence des prisons, suivi de l'effacement relatif des quarante-deux dernières années de sa vie.

S'emparer du gouvernement devint la tentation commune en France à partir du moment où l’on vit chanceler le vieil édifice du despotisme. Pendant le règne de Louis XV, trois fois la révolution fut sur le point d’éclater : en 1754 au profit de la bourgeoisie parlementaire et contre l’ultramontanisme, odieux de tout temps à la nation; en 1757 au profit du peuple, poussé à bout par l’infamie royale, mais hésitant devant la goutte de sang versée par Damiens; en 1771 au profit du duc d'Orléans et à la voix de Malesherbes, qui, président de la cour des aides, demandait des états généraux et l'appel à la nation’. Pen-

1. Rocquain, l'Esprit révolutionnaire avant la Révolution, 1878, pp. 180, 202, 287.