Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875
SO 2
« Lorsque tout à coup s'écroulèrent, sous les efforts généreux d’un peuple las de l'oppression, ces murs cimentés de sang et de larmes, ces tours affreuses habitées par le désespoir, et qui semblaient s'élever vers le ciel pour solliciter la foudre contre les crimes dont elles étaient, depuis tant de siècles, les silencieux témoins; lorsque, dis-je, la destruction de la Bastille donna à tout l'univers le signal de la liberté, on vit des hommes, profondément affectés par le souvenir des longs malheurs du peuple, oublier un instant de remettre aux lois le soin de ses vengeances. Des têtes sanglantes parurent à côté de ses drapeaux vainqueurs, et aux acclamations de la joie universelle purent se joindre les murmures de l'humanité affligée.…
» Tandis que l'on se rassemblait avec ordre dans les villes, il arriva que, dans beaucoup de campagnes, habitées par la misère et l'ignorance qui la suit, on s’attroupa plutôt qu'on ne se réunit. On se rendait à des assemblées tumultueuses, armé de mauvais fusils, et plus souvent de fourches et de bâtons. Avec le sentiment confus de leurs forces se réveilla, dans le cœur de ces hommes rustiques, celui des grandes oppressions dont ils avaient été victimes. Ils foulèrent, en frémissant d’indignation, cette glèbe qu'ils avaient si longtemps arrosée de leurs sueurs et de leurs larmes. Leurs regards se portèrent, avec la sombre inquiétude du ressentiment, sur ces châteaux superbes où, si souvent, ils étaient venus s’avilir par de honteux hommages, et d'où, plus d’une fois aussi, les caprices de l'orgueil, les attentats d'une cupidité toute-puissante, les ordres arbitraires et des vexations de tout genre s'étaient répandus, comme des torrents dévastateurs, sur les campagnes désolées.….. Jamais on ne s'était occupé de verser sur eux le bonheur ; on dédaignait de leur porter la lumière... On voulait nous conduire à l'anarchie, on espérait nous ramener au despotisme... Ces manœuvres perfides n’ont que trop réussi. La fermentation fit des progrès effrayants.