Étude sur les idées politiques de Mirabeau

LES IDÉES POLITIQUES DE MIRABEAU. 421

Malgré l'affirmation absolue des principes, Mirabeau sait garder la mesure dans les questions politiques. Cette modération de la pensée est d'autant plus méritoire chez lui que son caractère est plus passionné, son éloquence plus entraînante. Ainsi, ce grand avocat de toutes les libertés avait trop de raison pour rêver une égalité absolue parmi les hommes. En premier lieu, d'accord en cela avec la plupart des réformateurs de son temps, il n’admettait pas le suffrage universel 1. Il exigeait que chaque citoyen donnât, par le fait qu’il était propriétaire, des garanties de l’intérêt qu'il portait à la bonne administration du pays et à la conservation de l’État. Il reconnaissait ensuite que l'égalité est impossible entre toutes les classes de la société, que la noblesse de race, l’éducation et la richesse créent des distinctions, sinon toujours méritées, du moins incontestables et même utiles par l'émulation qu’elles provoquent chez tous les citoyens. I] ne réclamait l'égalité absolue qu'en matière judiciaire. Devant les tribunaux, tous les hommes sont égaux. De même aussi qu’il revendiquait la liberté des nègres, il voulait que l’on traitât sur le même pied créoles et mulâtres. Ces deux réformes que repoussaient les habitants les plus républicains des colonies auraient, si on les eût appliquées à temps, prévenu les massacres de Saint-Domingue et conservé à la France cette belle possession.

Cette question n’est pas la seule pour laquelle il ait pris les devants sur l'esprit de son siècle. Il a défendu contre ses contemporains des idées dont l'autorité n’est plus discutée aujourd’hui. Ainsi, il trouvait que les ministres peuvent et doivent même être choisis parmi les députés et avoir tout au moins dans l’Assemblée voix délibérative. Il croyait aussi que le véritable appel au peuple consiste dans la faculté laissée au chef de l'État de dissoudre la Chambre, pourvu que cette dissolution soit immédiatement suivie d’une nouvelle élection où les députés sortants peuvent encore poser leurs candidatures. Il est d’autres questions que Mirabeau a tranchées dans un sens tout moderne. La distinction lumineuse qu'il établit entre les actes constituants, qui dépendent uniquement des représentants de la nation, et les actes législatifs, aux quels le gouvernement doit aussi concourir, dénote des connais sances politiques avancées. Ses discours sur les rapports de l'Eglise et de l'État, ses revendications en faveur du libre échange,

Î. M. H. Martin, sauf erreur, prétend qu'il l'admit plus lard.