Gentilshommes démocrates : le vicomte de Noailles, les deux La Rochefoucauld, Clermont-Tonnerre, le comte de Castellane, le comte de Virieu

LES DEUX LA ROCHEFOUCAULD 79

Il est un autre point pourtant sur lequel les deux la Rochefoucauld se montrèrent plus inféodés encore aux idées démocratiques et plus hardis à les servir, c’est la sécularisation de l'État. A la fréquentation des philosophes ils s'étaient fait l’un et l’autre une religion spéciale, religion de cœur plutôt que de raisonnement, soigneusement dégagée de signes extérieurs, de ce que l'on nommait alors la superstition. « Ilest plus d’un catholique, dira le duc de Liancourt à son lit de mort, qui meurt intérieurement convaincu des vérités du protestantisme » (1). Dans de telles dispositions d'esprit on peut supposer qu'ils n’éprouvèreat pas grands scrupules à désolidariser l'État de l'Église et l'Église de l'État. Cest le duc de la Rochefoucauld qui, le 13 avril 1790, proposa et fit voter un décret affranchissant l'État de toute attache officielle à un culte quelconque. Je n’ai pas à discuter ici la moralité de cet affranchissement; mais il faut bien constater qu'il est difficile d’avoir été moins clérical et par conséquent plus moderne que l'inventeur d’une pareille motion. Aussi bien la question ne se posait pas alors entre l’athéisme et le fanatisme, elle était entre le fanatisme et la liberté de penser. Les fanatiques comme Mirabeau-tonneau s'écriaient: « Nous ne sortirons pas d'ici qu'on ne nous en arrache, à moins qu’on n’ait déclaré que la religion catholique est la seule religion nationale. » — « Pourquoi, répondait la Rochefoucauld, ferais-je de mes opinions des opinions

{1j Vie du duc de la Rochefoucauld-Liancourt, par FrédéricGaétan de la Rochefoucauld, son fils, p. 87.