Gentilshommes démocrates : le vicomte de Noailles, les deux La Rochefoucauld, Clermont-Tonnerre, le comte de Castellane, le comte de Virieu

LE VICOMTE DE NOAILLES 55

ne tarda point à reconnaître pour une corvette anglaise. Il y eut un moment d'hésitation à bord du navire français. Le capitaine soutenait qu'il n’y avait qu'un parti à prendre, celui de se jeter à la côte. Le général, après un moment de réflexion, rejeta la proposition. Il fit cacher son équipage, frapper au pic de la brigantine le pavillon anglais, et puis continua sa route. Il ne tarda pas à se trouver dans les eaux de lacorvette ennemie, qui, dès qu’elle l’eut aperçu, manœuvra pour le hêler. Le commandant Noailles avait pris le porte-voix. Il répondit avec un si grand bonheur d’accentuation aux demandes du croiseur que le capitaine ne put soupçonner que ce pavillon et surtout ces expressions et cet accent britannique fussent un masque. Il ne balança pas à lui faire connaître qu'il était à la recherche d’un bâtiment monté par le général Noailles.

— Mais, reprit celui-ci, j'ai précisément la même mission.

La nuit s'étant faite, Noailles assembla les marins et les soldats :

— Camarades, leur dit-il, voulez-vous châtier ces brigands ? Voilà l'instant; il suffit de les aborder. Je vous connais trop pour croire qu'ils pèseront plus au bout de vos baïonnettes que les Autrichiens ou les noirs.

— Dans ce cas, dit-il, que chacun se prépare au combat.

La proposition fut accueillie avec enthousiasme.

Tandis que les officiers plaçaient les soldats aux points les plus favorables pour s’élancer sur le tillac de l'ennemi, le capitaine gouvernait pour laborder par le travers.

L’Anglais, qui était loin de soupçonner aucun danger, n’eut connaissance de la manœuvre du navire français que lorsque l’abordage ne put plus être évité.

— Vous allez faire des avaries ! cria un des matelots de quart sur la corvette, lorsqu'il aperçut le brick arrivant en grand sur elle...

L’alarme ayantété jetée parmi les Anglais, les uns s’élancèrent sur le point menacé, les autres, soupçonnant une ruse, courarent aux armes. L’accostement se fit avec une