Gentilshommes démocrates : le vicomte de Noailles, les deux La Rochefoucauld, Clermont-Tonnerre, le comte de Castellane, le comte de Virieu

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ses idées les privilèges pécuniaires et sociaux de sa caste, qui pendant vingt-cinq ans de vie publique, sous un roi, sous une république et sous un César, n’a réclamé qu’une faveur, celle de se faire tuer pour la France, n’est pas une ame vulgaire, c’est un caractère.

À moins de se refuser à voir clair soi-même, il faut reconnaître que Noaiïlles a vu la démocratie, qu’il y a cru, qu’il l’a traitée non comme une mine dont l’exploitation enrichit, mais comme un état social qu’aucune puissance humaine n’est de force à modifier.

Sa pensée intime le prouve mieux encore que sa pensée publique. Des quelques lettres que les siens ont conservées ilressort une vision étonnamment nette de la vie à venir de ceux qui jusque-là avaient formé les classes dirigeantes de la nation.

Politiquement, il y est légèrement sceptique. « Lorsque l'on vit sous un gouvernement irrégulier, peu importe celui ou ceux qui ont la toute-puissance (1)! » Noailles est un des inventeurs de « la souveraineté du peuple » ; à cent ans de distance la démocratie française est-elle plus croyante que lui?

Administrativement il est l'ennemi des incapables :

La révolution qui s’est opérée en France exclut des places et des honneurs l'ignorance et l'oisiveté... Je conçois qu’une foule de gens regrettent un régime où ils croyaient être considérés parce que l’on n’osait pas leur dire qu'ils ne l'étaient pas et que l’on rendait hommage à leurs places sans avoir le moindre respect pour leurs personnes. L'on

(1) Noaïlles à son fils Alfred, 48 décembre 1800. (Communiquée .)