Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

LE DIRECTOIRE, LE CONSULAT ET L’'EMPIRE 327

chez M. Haugwitz. Un petit diner, puis quelque conversation avec lui, au cours de laquelle nous tombons d'accord que l’état de l'Europe est très critique ; que l’Empire germanique est en fait anéanti, et que la conservation du nom n’est utile qu'à ceux qui, dans l'intervalle qui précédera sa dissolution publique, sauront comment s'approprier ses dépouilles ; que la possession de Mayence par les Français leur ouvre la route jusqu'au cœur de l'Allemagne et que le sort de l'Europe est dans les mains du Cabinet prussien. Je lui fais remarquer que, bien que l'intention de sa Cour ait peut-être été d’abaisser la puissance de l'Autriche, il parait absolument déraisonnable de la détruire, et que l'accroissement du pouvoir de la France, quoiqu'il nous soit très agréable, à nous Américains et républicains, ne peut pas l'être parfaitement aux rois et aux nobles d'Europe, qui probablement verront d'avance leur propre sort dans l'histoire ancienne et peut-être s’aperçoivent déjà que la République française n’est pas, dans sa conduite, beaucoup plus respectueuse que ne l'était la Rome ancienne... Il me dit que la Saxe désire actuellement s'unir à la Prusse par un lien fédératif. Il ne me dit pas et je ne demande pas quel succès doit avoir cette proposition, parce que je présume que le sentiment du Directoire français doit d'abord être connu: Je lui dis qu'il est une circonstance bien digne de leur attention, à savoir que le gouvernement français, craignant que l’armée ne le renverse et n’établisse l'autorité d’un chef militaire, ne peut que désirer la destruction de cette armée préalablement à la paix et que naturellement ce devrait être un point capital de sa politique que le rétablissement de la Pologne, à la suite de quoi la Russie et la Prusse ne pourraient pas lui faire une plus grande faveur que de détruire ses troupes. Cette conception ne parail jamais être entrée dans la tête des gens d’ici, tant il est difficile de comprendre ce qui se passe sous VOS yeux 1. »

Voici un éloge formel, à la date du 29 novembre 1796 : « M. de Saint-Priest m'assure que l’Impératrice de Russie est décidée à envoyer des troupes contre la France. Il dit que

1. TT. IL, p. 180-182.