Histoire de la théophilanthropie : étude historique et critique : suivi d'une notice sur les catholiques allemands

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vue, quelque idée déterminée sur la nature humaine; c'était le cas, ce semble, de dire ce qu’on pensait de cette nature, de son état originel et de son état actuel, de sa puissance pour le bien et de l’avénir auquel elle est appelée ; mais, ni dans le formulaire de présentation, ni ailleurs, nous n’avons rien trouvé sur un sujet si important, et cette lacune se fait sentir non-seulement dans la cérémonie dont je viens de parler, mais dans l’ensemble de la morale Théophilanthropique, qu’elle prive de tout caractère systématique, logique. Il n’y a pas, à vrai dire, de morale Théophilanthropique, à moins qu’on ne veuille entendre par là un ensemble de sentences, de maximes morales sans plan, sans lien, sans principe central duquel tout se déduise, auquel tout se ramène. Quant à ces préceptes, nous avons déjà dit qu’ils ne se distinguaient pas toujours par une grande élévation. On ne saurait reprocher à la morale Théophilanthropique ce qu'on a reproché à la morale chrétienne : de placer l'idéal trop haut, d'être impraticable à force d’être sublime. Rien dans la morale des Théophilanthropes, rien qui ressemble à des préceptes comme ceux-ci : « Si l’on te frappe à la joue droite, présente aussi la gauche! Si l’on veut arracher ton manteau, offre l’habit qui est dessous! » Le ciel de la Théophilanthropie ne doit pas être forcé (1), comme celui de l'Évangile et il n’y a pas besoin de violence pour le ravir. On voit que les Théophilanthropes ont voulu se garder de toute exagération et ne demander à l'homme que ce qui est raisonnable et faisable.

Mais la voie qu'ils ont suivie est-elle la meilleure dans l'intérôt de l'homme même? Est-ce le moyen de porter l’homme au bien que de rabaïsser pour lui l'idéal et de mettre le but à sa portée? Cela n’est pas certain, et nous croyons plutôt que la morale évangélique avec son caractère absolu, et sublime, avec ses exigences irréalisables, aura toujours plus de prestige, d’autorité et de puissance sur les âmes, qu’elle provoquera plus d’elforts et obtiendra plus de succès, qu’une morale plus accommodée à la faiblesse humaine.

(1) Le Royaume des cieux, sa force, Matthieu, ch. xt, v. 12