Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

226 LE JOURNAL D'UN ÉTUDIANT

berté, regardant avec mépris tous ceux qui ne portent pas l'habit bleu, obéissant aveuglement à leurs chefs et prêts à fusiller, au moindre signal, ce qu'ils appellent la canaille.

«€ Voilà quel est le triste état des choses à Paris et je ne vois que deux grands maux capables de sauver la liberté : la guerre ou la fuite du Roi. Je dirai même que je désire ardemment l’un de ces terribles fléaux, parce que, comme nous l'a prédit Mirabeau, notre liberté ne peut s'assurer qu'autant qu'elle aura pour lit des matelas de cadavres et parce que, pour assurer cette liberté, je consens, s'il le faut, à devenir un de ces cadavres. »

M. Géraud père cherche à calmer l’exaltation de son fils et il lui répond :

€ Si les Parisiens n’ont plus au même degré les vertus civiques, du moins conviendras-tu qu'ils n’ont pas mal choisi le procureur et le substitut de la commune. La crise nécessaire peut-être, pour ranimer le patriotisme, pourrait bien naître du refus que fait le Roi de donner sa sanction aux deux fameux décrets; mais, si cette crise devait faire couler le sang, faisons des vœux pour qu'elle n'arrive pas. » à

Edmond ne se laisse pas convaincre, et dans son enthousiasme juvénile, il réplique aussitôt :

« Lorsqu'en parlant de la crise bienheureuse que j'espère et que je désire, tu me dis : « Mais si elle « devait faire couler du sang, faisons des vœux pour