La correspondance de Marat

154 LA CORRESPONDANCE DE MARAT

Dans les premiers jours de cette révolution, qui a tant fait tourner de têtes, qui a tant fait pousser de cris d’allégresse, qui a tant fait chanter de 7e Deum, de cette révolution que tant de plumes ont élevée jusques aux nues, que tant de fêtes ont célébrée, et que tant de sots admirent encore, nos cœurs se sont un instant ouverts à la joie; nous nous bercions de l’espoir de voir finir nos maux, de l’espoir de voir changer notre sort,

Quelque heureux que puissent être les changements survenus dans l’État, ils sont tous pour le riche : le ciel fut toujours d’airain pour le pauvre, et le sera toujours.

Pères conscrits! vous vous diîtes les députés du peuple, vous prétendez avoir stipulé ses intérêts, assuré ses droits : cependant, qu'avez-vous fait pour nous? Travailler à rendre libre la nation? direz-vous sans doute. Fort bien : mais que nous importe la liberté politique, à nous qui ne l'avons jamais connue et qui ne la connaîtrons jamais? Elle n’a de prix qu'aux yeux du penseur qui veut instruire les hommes, du publiciste qui veut se faire un nom et des citoyens qui ne veulent point de maître; mais nous, pauvres infortunés, nous n'avons point le temps de réfléchir‘; nous nous mélons rarement des affaires de l’État, et lorsque cela nous arrive, la part que nous y prenons ne peut être que celle des spectateurs à une pièce de théâtre ou celle des acteurs d’un opéra.

A l'égard de la liberté civile, nous n’en avons jamais bien joui et nous n’en jouirons jamais mieux. Pourquoi nous faire illusion? Sous le prétendu règne de la liberté, nous sommes plus mal encore que sous le règne de la servitude. Cent fois plus exposés aux outrages des vils suppôts de nos fyranneaux que nous ne l’étions aux attentats

1. Que deviendraïent les nations, si les pauvres étaient pénétrés de leurs droits comme autant de philosophes et si la réflexion aigrissait en eux le sentiment de leur affreuse position! (Note de Marat)