La correspondance de Marat

LA CORRESPONDANCE DE MARAT 159

J'aime à croire que mon frère d'armes, Camille des Moulins, n'abandonnera point la patrie, et ne renoncera point au soin de sa gloire, en perdant courage au milieu de sa noble carrière. Il est révolté d’avoir entendu demander sa tête par des députés à la fédération. Mais quelques hommes ivres ou abusés ne font point le public; et ce publie, lui-même, vint-il à s’égarer, renferme toujours un grand nombre de citoyens estimables, pleins d’admiration et de reconnaissance pour leurs généreux défenseurs. Enfin, quand le peuple ne serait composé que d'hommes vils et ingrats, le vrai philosophe fermera-t-il donc son cœur à l'amour de l’humanité, dès qu’il ne verra plus de rétributions mondaines pour prix de sa vertu? O mon ami, quel sort plus brillant pour un faible mortel que de pouvoir ici-bas s'élever au rang des dieux! Sens toute la dignité de ton être, et sois convainen que parmi tes persécuteurs il en est mille qui sont humiliés de leur nullité, de leur bassesse; il en est mille qui envient tes destinées.

Peu d'hommes, je le sais, seraient d'humeur de s'immoler au salut de la patrie. Mais quoi! Un citoyen qui n’a ni parents, ni femme, ni enfants à soutenir, craindra-t-il donc de courir quelques dangers pour sauver une grande nation; tandis que des milliers d'hommes abandonnent le soin de leurs affaires, s'arrachent du sein de leur famille, bravent les périls, les fatigues, la faim, et s’exposent à mille morts, pour voler à la voix d’un maitre dédaigneux ei superbe, porter la désolation dans des pays lointains, ésorger ‘ des infortunés qui ne les provoquèrent jamais,

1. Je n'ai jamais été à même de m'’entretenir familièrement avec quelques officiers des troupes de ligne, sans les avoir fait convenir qu'ils étaient prêts à obéir aux ordres du roi, s’il leur commandait de mettre le feu aux quatre coins d'une ville, et d'en égorger les habitants. J'ai même connu très particulièrement un lieutenant des gardes-du-corps, à qui j'ai fait avouer plus d’une fois qu’il éventrerait sa mère plutôt que de se révolter contre les