La correspondance de Marat
160 LA CORRESPONDANCE DE MARAT
qu'ils n’ont jamais vus, et dont ils ont à peine entendu parler. Quoi! de nombreuses légions ne craindront pas de se couvrir de crimes pour huit sols par jour; et l'amour de l'humanité, l’amour de la gloire seront trop faibles pour porter les sages à braver le moindre danger !
Je ne cherche point à me donner de l'encens : mais, Mon ami, que votre sort est encore éloigné de la dureté du mien! Depuis dix-huit mois, condamné à toute espèce de privations, excédé de travail et de veilles, rendu de fatigues, exposé à mille dangers, environné d’espions, d’alguazils, d’assassins, et forcé de me conserver pour la patrie, je cours de retraite en retraite, sans pouvoir souvent dormir deux nuits consécutives dans le même lit; et toutefois de ma vie je n’ai été plus content; la grandeur de la cause que je défends élève mon courage au-dessus de la crainte; le sentiment du bien que je tâche de faire, des maux que je cherche à prévenir, me console de mon infortune, et l'espoir d’un triomphe brillant pénètre mon âme d’une douce volupté.
Comme vous aimez à rire, voici quelques anecdotes qui pourront vous égayer, en VOUS donnant une idée de l’agitation de ma vie depuis la révolution.
Le 22 janvier, jour où le ministre des finances, le maire et le commandant général envoyèrent une armée pour m'assaillir, je reposais dans une rue voisine, lorsqu'un
ordres du prince. Je frissonnai d'horreur. — Et vous, répliqua-t-il, que feriez-vous à ma place? — Et moi, je poignarderais tous les rois de la terre, plutôt que de porter mes mains sur les auteurs de mes jours, plutôt que d'attenter à la vie d'un innocent. Teis sont les vrais sentiments de l'Am: DU PEUPLE, et tels doivent être les sentiments de tout homme libre, de tout homme honnête, de tout homme qui pense : sentiments que je voudrais inspirer à tous les Francais; sentiments que j'ai professés publiquement il y à nombre d'années, et dont on trouvera des traces dans mon Plan de Législation criminelle. Aussi, les exemplaires qui ont passé de la Suisse en France, sous le sieur de Miromesnil, ont-ils été cartonnés en cent endroits. (Note de Marat)