La correspondance de Marat

LA CORRESPONDANCE DE MARAT 461

jeune homme attaché à mon bureau vint m'annoncer en pleurant que ma maison était enveloppée par plusieurs bataillons. À l'instant mon hôte et son épouse entrèrent dans ma chambre d’un air conslerné; ils voulurent parler, ils ne purent que gémir. — Paix donc, m'écriai-je, ce n'est rien que cela; je sautai en place et je demandai à être seul. Jamais je ne suis plus de sang-froid qu'au milieu “des dangers iñminents. Ne voulant pas sortir en désordre, crainte d’éveiller le soupçon, je fis toilette. Je passai une redingote, je me couvris d’un chapeau rond, je pris un air riant, et me voilà parti, gagnant le Gros-Caillou, à travers un détachement de la garde envoyée pour m'enlever. Chemin faisant, j'avais cherché à distraire mon compagnon de caravane, et je conservai ma bonne humeur jusque vers les cinq heures du soir, l’heure à laquelle j'attendais l'épreuve de la feuille où je rendais compte de la fameuse équipée. Personne ne vint. Je pressentis. le Coup qui me menaçait; et j'appris, le lendemain matin, que les scellés avaient été mis sur mes presses. La journée se passa dans la tristesse. On avait eu vent de la route que j'avais tenue. Dans la soirée, la maison fut investie par des espions; je les reconnus à travers une jalousie. On me proposait de me sauver par le toit, à l'entrée de la nuit. Je passai au milieu d’eux en plein jour, donnant le bras à une jeune personne, et marchant à pas comptés. Lorsque la nuit fut arrivée, je me rendis au grand bassin du Luxembourg; deux amis m'y attendaient. Ils devaient me conduire chez une dame du voisinage. Nous ne trouvämes personne au logis : me voilà sur le pavé. Un de mes compagions se mit à pleurer, je séchai ses larmes en éclatant de rire; sous prenons un fiacre, et je vais chercher un asile au fond du Marais. Arrivés à la Grève, je veux voir le réverbère que l’on me destinait deux jours auparavant, et je passai par dessous. Arrivés rue de la Perle, mon nouvel hôte avait compagnie : j'y trouvai une personne qui ne m'était pas inconnue. Pour dépayser les curieux, il fallait jouer la

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