La correspondance de Marat
LA CORRESPONDANCE DE MARAT 165
plus de clémence, et voyez s’il en est un seul qui hésite. Mais que l'ennemi s’avance une fois sur nos frontières, les citoyens les plus calmes renchériront à l’envi sur l’auteur, et vous-même, cher Camille, vous regretlerez amèrement que les traîtres à la nation n’aient pas tous été suppliciés; vœu si naturel des cœurs honnètes et amis de la paix, que mon lâche délateur a été réduit à falsifier C’en est fait de nous, et à employer l’imposture pour en faire un crime à l’'Ami du Peuple; tandis que ses collègues, acharnés contre les plus ardents défenseurs de la liberté, les mirent tous sous l’anathème, en s’écriant en chœur : qu’ils périssent!
Ce mystère d'iniquité, qui a couvert d’infamie l’Assemblée nationale, était si révoltant, qu'une poignée de patriotes la força, dès le lendemain, à revenir sur ce honteux décret, et elle en aurait effacé jusqu’à la moindre trace, sans un reste de ressentiment d’un orateur contre le juriste auquel on attribuait l'écrit dénoncé. Passons sur de pareilles petitesses, dont l’honnète homme a tant de peine à se défendre, pour jeter un coup d'œil sur une atrocité dont elles furent la cause, et dont l’Assemblée ne se lavera jamais.
Quel spectacle, grands Dieux, que de voir nos législateurs, faits pour marquer tous leurs décrets au coin de la sagesse et de la justice, frapper d'anathème l’apôtre de la liberté, sans s'inquiéter si les faits dont on l’accuse sont des déiits, et s’il est l’auteur de ces faits; puis de le livrer à un tribunal de sang, coupable d’avoir formé l'horrible projet d’égorger tous les fauteurs de la révolution, et convaincu d’avoir juré sa perte pour avoir dénoncé ses lâches prévarications !
En lisant cette partie des annales de la première de nos législatures, les lecteurs sensibles frémiront d'horreur, et l'historien fidèle, s’élevant contre ces perfidies, transmettra aux générations futures les noms de nos indignes représentants, pour les livrer à l’opprobre.
Mais jetons un voile épais sur cette atrocité, dont les patriotes n’ont pu, sans doute, se défendre dans une assem-