La correspondance de Marat
168 LA CORRESPONDANCE DE MARAT
projet de priver la nation des argus fidèles qui veillent à son salut.
S'il ne s'agissait que d'opposer autorité à autorité, j'oserais lutter ici avec vous ; car je me pique de connaitre un peu les hommes, et de n'avoir assez souvent besoin que d’un coup d'œil pour lire au fond de leur cœur : mais je ne veux que faire passer devant vous les membres du comité des recherches, que j'ai vu de très près à la besogne.
Ne parlons ni de M. Oudart, ni de M. Agier; leur aspect ne prévient pas en leur faveur, et il faudrait être bien peu physionomiste pour ne pas voir que la franchise n’est pas leur défaut.
M. Brissot m'avait toujours paru vrai ami de la liberté : l'air infect de l'Hôtel-de-Ville, et plus encore le souffle impur du général, influèrent bientôt sur ses principes : son plan d’aristocratie municipale, qui a servi de canevas à celui de Desmeuniers, ne me laissa plus voir en lui qu'un petit ambitieux, un souple intrigant, et la voix du patriotisme étouffa dans mon cœur la voix de l’amitié.
La réputation de M. Garran annoncerait le bon patriote, si sa froideur, sa circonspection, sa timidité ne décelaient à mes yeux un citoyen sans énergie, sans courage. Il a les mains pures, je le crois; mais où sont les vertus stoïques que vous lui prêtez? Vous en faites un Caton, j'en fais un bonhomme.
Le seul de ces inquisiteurs d'État vers lequel je me suis senti attiré est M. Perron. Sa franchise et sa fermeté montrent qu’il a de l’âme : j'oserais presque me fier à son civisme, s’il était permis au sage de juger les hommes à leurs discours ‘.
1. Vous vous rappelez mon arrestation à Montmartre, et ma comparution au comité des recherches, dont j'ai rendu compte dans le n° 71. Ses confrères improuvaient, tous plus ou moins, l'ardeur de mon patriotisme; il fut le seul qui en fût enchanté. « ALLEZ, NOTRE CHER AMI, ME DIT-IL EN M'EMBRASSANT, ÉCRIVEZ TOUJOURS, ET CONTINUEZ À DÉMASQUER LES FRIPONS! » — (Nofe de Marat)