La correspondance de Marat

LA CORRESPONDANCE DE MARAT 169

Vous pouvez juger à ces traits que ces Messieurs ne me sont pas inconnus. En vous élevant contre moi, Camille, vous êtes parti de quelque bruit vulgaire, et peut-être de quelque entretien superficiel, pour opposer à ma dénonciation leur vertu; je pourrais vous opposer le coup d'œil de l'observateur, dans des circonstances où j'avais tant d'intérêt à lire dans leur cœur. Mais je n’entends pas me prévaloir de ce petit avantage : ce n’est pas par des certificats de probité, des témoignages honorables, moins encore par des inductions en l'air, que l’on peut détruire des charges positives, des faits constants. Or, pour justifier mes inculpations, je vous parlerai d’abord en preuve de leur propre dénonciation contre le Châtelet. Elle vous a ravi d’admiration, et tout Paris la regarde comme une démonstration du civisme de ses auteurs. Vous l’avouerai-je? Elle a servi à me prouver le contraire ; et ma grande raison, c'est qu’elle est venue bien tard, et qu'elle a été forcée. Si les membres du comité des recherches étaient de vrais patriotes, auraient-ils attendu, pour dénoncer le Châtelet, qu'il les eût inculpés eux-mêmes ? Auraient-ils attendu, pour parler, que l’Assemblée nationale leur eût ouvert la bouche ? Auraient-ils laissé écouler plusieurs mois, avant de dévoiler aux yeux du public la scélératesse d'une horde de jugeurs, qui demandaient des faits vrais ou faux pour faire périr l’innocent ? Ne les auraient-ils pas traduits devant le sénat de la nation comme des traitres à la patrie, des conspirateurs qu'on ne pouvait trop se hâter de destituer ? N’en auraient-ils pas sollicité la destitution ? Et auraient-ils exposé si longtemps les bons patriotes aux dangers que leur faisaient courir ces officiers juridiques? Vous-même, Camille, avez-vous bien à vous louer de leur coupable silence, car je ne veux point parler iei de moi ? Taire des faits de cette nature, c’est exposer le salut public, c'est trahir la patrie. Sur leur silence. seul, on pourrait done leur faire procès, et les déclarer indignes de la confiance publique. Pesez la force de ces arguments, ef,

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