La correspondance de Marat
192 LA CORRESPONDANCE DE MARAT
qu’on leur faisait manger du pain de marrons d'Inde, tandis qu'on faisait passer leurs grains à l’étranger, et pour avoir révélé les affreuses malversations de l’École Royale Militaire, où l’on dépensait 1.800.000 liv. pour moudre de mauvais grains et mêler des farines gâtées, tandis que les moulins des environs de la capitale étaient dans l’inaction.
Tous les bons citoyens se joindront à moi pour vous remercier des peines que vous vous êtes données après Saint-Huruge, et des nouvelles que vous leur donnez du brave Noel. Mais je ne sais quel sentiment de tristesse s’empare de mon âme à l’ouie de l'endroit où vous l'avez trouvé. Je n'aime point à le voir occuper une place à la ville; vous savez que les patriotes sont repoussés de tous les emplois par les aristocrates et les royalistes qui se sont emparés de l’État. Serait-elle done le prix de sa défection ? Je ne veux point vous faire perdre la bonne idée que vous avez de son ‘civisme. Quant à moi, j’en augure assez peu avantageusement, lorsque je réfléchis qu’il n’a répondu, depuis quinze jours, que par son silence aux inquiétudes que tant de bons citoyens ont témoignées sur son sort. Cette réflexion redouble ma tristesse, quand je songe à Saint-Huruge… Vous le dirai-je, mon cher Martin, nous sommes la nation la plus corrompue de l'univers; la perte de la liberté ne viendra jamais que de notre dépravation; ce n’est pas avec de vieux esclaves que l’on fait des hommes libres. Si nous ne retombons pas dans la servitude, ce n’est pas que nous aimions la liberté; c’est que chacun voulantse vendre, ne souffrira pas qu'un autre soit maître de le livrer.
MapaT.