La correspondance de Marat
LA CORRESPONDANCE DE MARAT 201
pour excercer l’apostat de la liberté, chez une nation moins corrompue. » — Mais quitter le champ de bataille lorsque l'armée a mis bas les armes, et abandonner la partie lorsqu'il n'y a plus d’espoir, ce ne serait être ni lâche, ni déserteur, ni apostat : ce serait céder à la raison, ce serait fléchir sous les lois impérieuses de la nécessité!
ne vous rappellerai pas ces temps orageux où, pendant frois semaines consécutives, ma maison était assaillie presque chaque nuit par une légion de satellites de robe courte et de pousse-culs nationaux, qui avaient juré de m'avoir mort ou vif; où, tranquille dans mon cabinet, je sortais à la brune lorsque ma feuille qui désespérait les coquins était sous presse, et où je rentrais le lendemain à la pointe du jour. Vous savez cela comme moi; mais ce que vous savez beaucoup mieux, c’est que, pendant mon absence, après la fameuse expédition du 22 janvier, le courage de tous les écrivains patriotes était glacé; c’est que, le lendemain de mon retour de Londres, vous me pressâtes de reprendre la plame pour leur redonner du cœur; c'est que, quelques jours après, je recommençai à faire guerre ouverte à tous les ennemis connus de la liberté, continuaut à me montrer en public, quoique je fusse toujours dans les liens de deux décrets de prise de corps; c’est que, transporté de joie de ma dénonciation contre le Général, vous me prodiguâtes dans votre n° 32 les titres de divin, de sapeur des journalistes, et toujours le premier sur la brèche; c'est qu'interdit de la manière dont je traitai l’Assemblée nationale, devant laquelle vous vous éliez humilié, après le décret de crime de lèse-nation, qui ne vous avait effleuré que pour reposer tout entier sur ma tête, vous m'appelez dans votre numéro 31 l'enfant perdu des journalistes patriotes, et vous vous déclarez mon émule indigne; c'est qu'altéré du parti que j'ai pris pour sauver la patrie de mener une vie souterraine, de braver tous les supplices, et craignant la comparaison, vous demandez si un écrivain patriote, qui n'a pas été mis en sentinelle par le peuple, est tenu à l'abnégation de luimême et à s’enterrer tout vivant comme Marat? Et c'est vous, mon frère d'armes, vous qui vous prétendez un Romain, qui venez flétrir les lauriers dont vous m'avez couvert, et m'imputer à lâcheté un genre de vie dont vous n’aviez pas même la force de soutenir l'idée. O Camille! je vous connaissais pour un homme irréfléchi, léger, superficiel; mais le moyen d'imaginer quun moment de pique vous eût fait renoncer à toute pudeur ? (No/e de Marat)