La correspondance de Marat

LA CORRESPONDANCE DE MARAT 205

un si grand crime du dessein ou plutôt du soupçon d’avoir voulu abandonner la patrie? Qu'a-t-elle besoin de ma plume? Et pourquoi, sous peine de voir mon nom flétri, m'astreindre à continuer de battre l’air, sans jamais avancer d’un pas? Enfin, ce grand mot de très redoutable Marat ne devient-il pas un persiflage aussi amer qu'indécent?.… Ce n’est pas tout. « Mais puisque les annales de la Chine, poursuit l’auteur, citent tant d'exemples de membres de ce tribunal de l’histoire qui se sont fait pendre pour tenir registre des anecdotes de la cour de Pékin. il faut bien, pour l'honneur de la France, qu’on puisse y compter deux ou trois journalistes qui bravent les tyrans pour consigner dans leurs feuilles des vérités inutiles... » Mon pauvre Camille, la manie de faire de l'esprit vous tourmente si fort, que vous sacrifiez au plaisir de paraître piquant jusqu'à la crainte de paraître fou, et que vous aimez mieux être le paillasse de la liberté que d’en être l’apôtre. Au surplus, il n'y a peut-être que vous en France qui ayez pu imaginer que le but de la liberté de la presse était de corriger les fonctionnaires publics, de changer en patriotes les suppôts du despotisme ; en amis de la liberté, les bas valets de la cour; en hommes intègres, les membres des comités de l’Assemblée nationale ; en gens de bien, les jugeurs, les marchands de paroles, les grippe-sous, les agents pourris de l’ancien régime : mais qui ne sait qu’elle est destinée à instruire les citoyens de leurs droits, et à leur inspirer le désir d'en jouir, le courage de les défendre, l'audace de les venger; qu’elle est destinée à leur faire connaître les prévarications de leurs mandataires, et à leur faire sentir la nécessité de les punir ; qu’elle est destinée à leur apprendre à n’obéir qu'aux lois justes et sages, à résister aux lois iniques, à s’opposer aux lois tyranniques ; qu’elle est destinée à apprendre aux troupes à distinguerles desseins perfides de leurs chefs, à mépriser leurs ordres arbitraires, à mettre bas les armes lorsqu'ils leur commandent de massacrer les citoyens, et à rire de leurs menaces; qu’elle est

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